PRISMES

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PRISMES

 

 

 

La valeur n’attend pas le nombre des années.

(Blaise Pascal)

 

À Brest, la jeune Annie Simon a toujours surpris ses professeurs par ses facultés hors normes d’apprentissage et de compréhension. Elle  a obtenu son BAC à seize ans, poursuivi ses études scientifiques et obtenu son Doctorat optique et magnétisme à l’UBO avec mention.

La jeune femme a toujours pu bénéficier du soutien de ses parents malgré leur condition modeste, et, comme ils étaient économes, ils avaient toujours pu subvenir aux besoins de leur fille unique.

Annie occupait en location un appartement au troisième étage d’un immeuble à Brest et elle se sentait privilégiée à chaque fois qu’elle regardait par sa fenêtre et qu’elle contemplait la rade.

Elle vit seule. Ce n’est pas vraiment un choix, mais elle s’en accommode. Elle a bien quelques amis, mais le seul garçon avec qui elle a entretenu une relation sérieuse a fini par la quitter, lassé d’attendre…

Elle sait qu’elle est responsable de cet échec ; mais que pouvait-elle bien y faire ? En fait, la vraie responsable, c’est sa mère qui lui a transmis, alors qu’elle entrait à peine dans l’adolescence et venait d’avoir ses premières règles, ses propres peurs : «Détourne-toi du sexe ! Méfie-toi des garçons ! Ils ne veulent qu’une seule chose: profiter de toi.» Elle avait dit ça en désignant son entrejambe de l’index. « Et tu verras, ils te feront du mal car ce sont de véritables brutes… Sans parler des maladies qu’ils te transmettront, ils ne sont pas tous propres ! » Elle avait dit ça avec une expression qu’elle ne lui connaissait pas. Son visage était déformé par la peur et une sorte de colère qu’elle ne comprenait pas. En voyant ainsi sa mère, elle qui avait toujours été douce,  elle avait senti son sang se glacer dans ses veines et s’était sentie honteuse d’être réglée, embarrassée par un sexe dont elle n’avait pas conscience.

Son père qui avait assisté à la scène avait froncé les sourcils en se levant d’un bond de son fauteuil et il avait demandé à sa femme d’arrêter ça tout de suite ! Il était apparemment furibard.

La mère d’Annie s’était empourprée, elle venait de passer de la colère à l’étonnement et avait fui dans sa chambre sans prononcer un mot. Peut-être s’était-elle rendu compte de ce qu’elle venait de faire ? Personne n’en a jamais reparlé.

Il avait alors pris les mains de sa fille dans les siennes et, avec une voix douce et un regard triste lui avait dit que parfois, il fallait savoir ne pas tenir compte de ce que disent les parents et, qu’en général, les relations entre les garçons et les filles se passaient très bien ; qu’elle saurait trouver quelqu’un à la hauteur de ses espérances et qu’elle ne devait pas avoir peur. Il lui avait dit aussi qu’elle se transformait pour devenir une femme ; une belle femme intelligente.

Mais le mal était fait et la peur de sa mère s’était profondément ancrée en elle, comme un virus qui se serait caché dans ses cellules en attendant son heure ; elle s’était gravée dans son esprit et aucun mastic d’aucune sorte ne pourrait désormais combler un tel sillon, tellement profond. Elle lui en voudrait beaucoup pour ça, plus tard…

 

Annie avait rencontré Kévin lors d’une soirée étudiante au mois de septembre de sa dix-septième année, peu après la rentrée en université. Le lieu du rendez-vous était un bar à bière dans le quartier de Kérinou. Elle avait d’abord hésité, craignant ne pas être à la hauteur dans ce genre de situation qui était une première pour elle, puis, devant l’enthousiasme et l’excitation de ses copines, elle avait accepté de les accompagner à la soirée.

Ne sachant pas trop comment se déroulait ce genre de soirée, Annie avait décidé de porter simplement un jean et un teeshirt blanc et ses longs cheveux blonds reposaient naturellement sur ses épaules.

Nolwenn et Claudia, ses meilleures copines étaient passées la prendre chez elle et elles gloussaient à l’idée qu’elles allaient faire des rencontres intéressantes… Elles étaient bien plus délurées qu’elles et laissaient entendre qu’elles avaient déjà couché avec un garçon ; ce qu’elle avait du mal à croire.

Le soir tombait, il faisait encore chaud et l’air était sec. Le bar d’où sortait de la musique irlandaise était bondé, et un groupe d’étudiants buvait de la bière sur le trottoir tellement la place manquait à l’intérieur. À leur arrivée, quelques garçons avaient levé leur verre pour les saluer et elles leur avaient répondu par un sourire.

En entrant dans le bar, Annie avait eu envie de faire demi-tour et rentrer chez elle, tellement les gens étaient serrés les uns contre les autres ; et le comptoir où s’affairaient les serveurs en nage lui paraissait se trouver à des années lumière d’elle, derrière cette foule si dense. Mais Nolwenn lui avait pris la main et l’avait traînée derrière elle en riant et en poussant des « Pardon !» à la cantonade. Les gens souriaient et discutaient en buvant leur bière dans un brouhaha à peine couvert par la musique.

Lors de leur pénible progression, Annie avait heurté l’épaule d’un garçon au moment où il portait son verre à ses lèvres, ce qui avait eu comme conséquence de vider la moitié de sa chope sur sa chemisette. Annie avait aussitôt lâché la main de son amie et s’était confondue en excuses. Le garçon, surpris, avait d’abord ouvert de grands yeux et la bouche à cause de la fraîcheur de la bière qui venait d’inonder son buste, puis il avait souri et répondu: «pas grave, ça ne tache pas !» Il avait dit ça en approchant sa tête près de celle d’Annie pour qu’elle puisse l’entendre parmi tout le boucan ambiant. Il avait rajouté: «Moi, c’est Kévin. Et toi ?» Elle avait alors fait comme lui et avait approché son visage du sien pour lui répondre. À ce moment, quand leurs regards s’étaient croisés à quelques centimètres l’un de l’autre, elle avait ressenti une étrange sensation: son rythme cardiaque avait accéléré et une gêne bizarre l’avait envahie. Et quand elle avait approché sa bouche de son oreille, que ses cheveux étaient entrés en contact avec les siens, elle avait senti une chaleur sourdre de son ventre pour se répandre rapidement dans tout son corps. Kévin était resté un moment immobile, les yeux écarquillés, puis avait balbutié un: «Euh… Enchanté…»

Nolwenn et Claudia avaient réussi à s’emparer de trois tabourets près du comptoir et trois chopes de bière étaient déjà posées sur le zinc. Quand Annie les avait rejointes, elles affichaient un sourire en coin et leurs yeux trahissaient leur malice espiègle: «Alors ? C’est qui ce Don juan ? Tu as sacrément bien manœuvré ma belle, il ne te quitte plus des yeux… Regarde, il te dévore de là où il est ! Et il a l’air gourmand…  Nous qui te prenions pour une sainte Nitouche, tu nous as devancées ! Bravo !

– Arrête ! Je me suis juste excusée…» Elle avait dit ça en rougissant jusqu’à la racine de ses cheveux ; et en constatant ce changement de teint soudain, les deux copines avaient éclaté de rire.

La soirée s’était déroulée de façon joyeuse et Annie n’avait pas bu beaucoup de bière, à peine le quart de sa chope. Elle se méfiait des effets de l’alcool, mais surtout, elle avait peur de devoir aller aux toilettes dans ce genre d’endroit ; et Dieu sait combien la bière peut être diurétique ! Quand un peu plus tard, Kévin était venu à sa rencontre, en jouant des coudes tout en s’excusant, il lui lançait des sourires un peu gênés. Il était drôle et semblait être un garçon bien élevé (pas une brute, et il était propre !).

Ils avaient longuement discuté de leur vie, de leurs projets et s’étaient échangés leurs numéros de portable en se promettant mutuellement de se revoir prochainement.

Annie vivait sur un petit nuage, Kévin était un véritable gentleman, attentionné et si drôle ! Il se destinait à la médecine. Ils se voyaient une fois par semaine, chez lui. Les parents de Kévin avaient de gros moyens et possédaient plusieurs appartements à Brest qu’ils louaient. Ils en avaient gardé un à sa disposition pour qu’il puisse être chez lui durant ses études.

Ils avaient flirté, s’étaient embrassés, caressés. Et Annie trouvait ça formidable. Kévin aussi, probablement ; du moins au début de leur relation car au bout de quelques semaines de flirt, il lui avait confié qu’il souhaitait aller plus loin, qu’il était temps. Annie avait alors été prise de panique et avait revu sa mère pointer son sexe de son index: «ils voudront profiter de toi et te faire mal !» Elle avait alors répondu que c’était trop tôt, qu’il lui faudrait faire preuve d’un peu de patience… Merci maman ! Souvent, le soir, avant de s’endormir, Annie repensait à Kévin et s’imaginait faire l’amour avec lui, et très rapidement, elle revoyait le visage de sa mère et cette expression qui l’avait effrayée quand elle avait douze ans. Son corps réagissait immédiatement et ce qui lui paraissait tenir du conte de fées se transformait en cauchemar.

Elle espérait que ça s’arrangerait. Mais, les mois passant, il s’était lassé d’attendre et lors de leur dernier rendez-vous, il lui avait dit qu’il en avait assez. Qu’il l’adorait mais qu’il ne pouvait se contenter de si peu et que leur relation n’était pas tout à fait normale, qu’il attendait plus et qu’elle ne serait probablement jamais prête ; alors il valait mieux mettre un terme à leur histoire. Annie avait simplement hoché la tête, ramassé ses affaires et était partie. Elle n’arrivait pas à lui en vouloir, elle culpabilisait et savait au fond d’elle-même que ça arriverait. Elle était retournée au campus en marchant, pleurant en silence. Elle n’avait pas cherché à argumenter, à le retenir, sachant pertinemment qu’elle n’arriverait jamais à surmonter sa peur ; peut-être avait-elle besoin de consulter un PSY ? Plus tard, elle s’était demandé si elle n’était pas lesbienne sans le savoir… Mais non ! Elle n’avait jamais ressenti la moindre attirance pour une fille et ne se voyait pas avoir une relation sexuelle dans ces conditions.

Son chagrin avait duré deux semaines. Elle n’avait pas consulté et s’était totalement investie dans ses études et les années ont passé. Ces années sont passées très vite et, durant ce temps, elle a mis de côté son échec sentimental en compensant par ses travaux et ses recherches.

Il y a bien eu depuis quelques tentatives d’approche qu’elle a simplement et poliment repoussées ; ne voulant plus ressentir ce genre de douleur.

 

Annie  a toujours mené des expériences : avec de l’électricité, des aimants, la chimie et la biologie ; découvrant sans cesse les lois de notre univers. Elle a longtemps suspecté qu’avec les propriétés magnétiques, il se pourrait qu’un moteur peu gourmand en énergie et très puissant puisse être mis au point ; mais elle est rapidement arrivée à la conclusion qu’on ne tire rien du néant: «Ex nihilo, nihil fit !» Pendant un temps, elle a aussi tenté de créer une super batterie, en recherchant des éléments plus différents en termes de polarité que le cuivre et le plomb, en vain… Mais elle pensait que quelque part sur Terre, ou dans l’espace, de tels métaux devaient exister, qui seraient à même de produire une puissante énergie à partir de peu de matière. Ces recherches-là, elle les menait quand elle avait treize ans. «Ses chimères» comme elle les appelle aujourd’hui…

 

Elle avait facilement décroché un contrat très intéressant auprès d’une grosse entreprise privée en lien avec la défense, dans un laboratoire de recherche HITECH très discret près de Brest.

Elle aurait pu intégrer le CNRS ou le domaine spatial, mais elle avait préféré privilégier la proximité de ses parents et ainsi tenter de leur rendre ce que leurs sacrifices, ou du moins leurs efforts lui avaient apporté.

 

À part la cuisine et sa chambre qui sont bien rangées, le reste de son appartement ressemble davantage à un laboratoire de recherche empli de consoles, de tables sur lesquelles sont empilés des appareils de mesure divers et variés.

Ces derniers temps, Annie travaillait sur les propriétés optiques, persuadée que le monde tel que nous le voyons pourrait apparaître bien différent si nos yeux se trouvaient derrière un filtre optique ad-hoc. Partant du principe que certains animaux captent des spectres différents de ce que l’œil humain perçoit. Elle avait travaillé sur la polarisation qui élimine les reflets lumineux et trouvé une technique qui améliore l’effet de quarante pour cent, mais ce n’était pas le résultat qu’elle escomptait obtenir… Elle avait donc rangé ses notes dans son coffre-fort, caché dans un placard et scellé dans le mur et le plancher par les bons soins de son père  (pour plus tard en vue d’un éventuel dépôt de brevet).

 

Il y a quelques semaines de cela, Annie s’était penchée sur les prismes de couleurs et elle avait senti intuitivement qu’elle s’approchait de quelque chose d’encourageant. Si un prisme pouvait décomposer les couleurs, ce principe quelque peu modifié ne pourrait-il pas faire apparaître ce que l’œil ne peut percevoir ?

Elle s’était donc attelée à la tâche avec beaucoup d’enthousiasme et elle avait commencé à établir un protocole d’association chromatique. L’étude s’annonçait longue et fastidieuse ; les combinaisons étant nombreuses…

 

Quelques nuits plus tard, vers une heure du matin, alors qu’elle venait de se coucher et qu’elle fermait les yeux, une étrange idée était apparue à la surface de sa conscience: englober le prisme dans un champ électromagnétique pour interagir avec la lumière ! Annie avait rouvert les yeux, bondi hors de son lit et rempli la cafetière électrique car elle savait qu’elle ne dormirait plus avant un bon moment. Elle avait passé le reste de la nuit à effectuer ses calculs sur la réfraction des rayons, les volumes électromagnétiques et l’énergie nécessaire pour obtenir un résultat satisfaisant. La cafetière y était passée. Elle avait éclaté de rire quand elle avait compris qu’une simple pile bouton au lithium suffirait. Elle avait ensuite conçu les plans d’une paire de lunettes agrémentée de prismes et du générateur électromagnétique. Elle se demandait comment lui était venue cette idée ; elle avait les plans en tête et savait parfaitement que cela fonctionnerait. Une intuition ? Allez savoir…

Elle avait dressé la liste des composants qui lui seraient nécessaires et qu’elle «emprunterait» au boulot un peu plus tard dans la matinée… En fait, il s’agissait bien d’un emprunt, car à son habitude, elle commanderait ces mêmes composants chez le grossiste par Internet et les rendrait bientôt à sa boîte. Elle voulait gagner du temps, mais elle refusait de se rendre coupable d’une indélicatesse vis-à-vis de son employeur. Elle avait toujours procédé ainsi, ce qui lui conférait une conscience blanche comme un lys. Et elle gardait toutes les factures au cas où… Sait-on jamais ?

 

Quand ses lunettes spéciales avaient été conçues, Annie avait voulu immortaliser le moment du test en fixant son Smartphone sur un trépied, en activant la caméra. Elle avait rapidement décrit son projet devant l’objectif, puis avait chaussé ses lunettes en regardant par la fenêtre qui donne une vue splendide sur la rade de Brest. Ce qu’elle voyait était normal malgré les couleurs étranges générées par le prisme. Et elle avait ensuite appuyé sur le petit bouton situé sur la branche de gauche pour activer le champ électromagnétique. La vision était devenue floue un instant pour se stabiliser et les couleurs semblaient naturelles et elle avait ressenti quelques fourmillements dans le haut de son crâne ; cependant, quelque chose clochait… Ce qu’elle voyait paraissait différent de la vue habituelle, mais elle n’arrivait pas à savoir quoi. Elle avait levé instinctivement les yeux au ciel d’un bleu magnifique et, au bout de quelques secondes, elle avait remarqué quelque chose qui avait bougé, là-bas, un peu sur la droite. Elle avait fixé son attention sur ce point. Une forme circulaire d’un ton un peu différent du bleu du ciel ! La forme se déplaçait lentement de la droite vers la gauche sur une trajectoire rectiligne et à vitesse constante, puis, elle avait accéléré et effectué un virage à quatre-vingt-dix degrés pour disparaître instantanément dans la haute atmosphère. Annie avait lâché un «Hooo !»

Quelques secondes plus tard, d’autres objets similaires étaient apparus, se déplaçant dans les airs à des vitesses et des trajectoires différentes. Annie avait éteint le champ électromagnétique et enlevé ses lunettes, et elle avait aussitôt perdu connaissance. En reprenant ses esprits, elle gisait sur le parquet en bois vitrifié, ses lunettes toujours à la main. Elle s’était relevée, avait tâté la bosse qu’elle avait au-dessus de sa tempe droite en affichant une grimace de douleur. Puis elle avait couru inscrire des notes sur son carnet. Elle avait écrit: «S’agit-il d’un artefact optique ? Est-ce moi qui ai eu une hallucination et fait un malaise ? Est-ce dangereux ? Y a-t-il un moyen d’agir sur les prismes ou l’intensité du champ magnétique pour affiner le phénomène ? La caméra verrait-elle ce que j’ai vu ?»  «Mince ! La caméra tourne toujours !» Annie avait arrêté de filmer et pensait à placer les lunettes devant l’objectif pour en avoir le cœur net ; mais auparavant, elle voulait visionner ce qu’elle avait enregistré afin de savoir si elle n’avait pas été trop cloche devant l’objectif… Elle avait donc double-cliqué sur la vidéo fraîchement stockée et s’était assise pour la visionner. Elle s’était vue présenter son projet, se diriger vers la fenêtre pour voir le panorama (jusque là, elle trouvait qu’elle s’en sortait plutôt bien et ne faisait pas godiche), puis elle avait progressivement et totalement disparu de l’image à partir du moment où elle avait appuyé sur le bouton ! Elle était réapparue à l’image quelques minutes plus tard alors qu’elle ôtait ses lunettes. Annie avait ouvert grand la bouche sans rien dire ; elle n’en croyait pas ses yeux. Quand elle avait fini par réagir, son cœur battait la chamade et elle ne pouvait s’empêcher de répéter: «C’est impossible ! C’est impossible !» Elle avait cliqué sur le bouton «Pause» de l’écran et elle était revenue en arrière, juste un peu avant sa disparition. Elle avait relancé la vidéo et s’était à nouveau vue disparaître. Elle avait à nouveau cliqué sur «Pause»  et zoomé sur l’endroit où elle aurait dû se trouver. Les détails de la fenêtre, les rideaux, le mur, tout était net ! Elle avait donc réellement disparu en activant le champ électromagnétique ! Mais où était-elle allée ? Et qu’avait-elle vu ? Etait-ce un voyage dans une autre dimension ? Ou dans le temps ? Annie était à la fois perplexe, en proie à la peur et terriblement excitée par sa découverte. Elle avait fini par conclure qu’elle devait en savoir plus. Elle s’était assise devant son ordinateur portable non connecté au réseau, celui qui ne sert qu’à ses recherches, qui contient tous ses secrets et qu’elle enferme dans son coffre quand elle sort de chez elle. Elle avait modifié le plan de ses lunettes pour y apporter quelques améliorations, notamment, une fonction programmable de temporisation et un curseur d’intensité de l’activité électromagnétique. Elle devait faire de nouveaux essais, mais avant tout, il lui fallait savoir si la caméra voyait la même chose qu’elle et… Pourrait-elle visionner en temps réel ce que capterait l’objectif en reliant la caméra à sa télévision en les raccordant par le WIFI ? Ou simplement, pouvait-elle emporter son portable avec elle et filmer une fois partie ? La batterie du mobile était à cinquante pour cent de sa charge, ça suffirait amplement !

Fébrilement, elle avait à nouveau chaussé ses lunettes et activé le champ électromagnétique. Le portable était toujours dans sa main et fonctionnait. Elle avait commencé à filmer le ciel et les étranges objets circulaires qui s’y promenaient. Elle avait ôté les lunettes pour placer un des verres devant l’objectif du mobile, au cas où et avait continué à filmer.

Avant d’appuyer à nouveau sur le bouton pour couper le champ magnétique, Annie avait pris le soin de s’assoir pour éviter une nouvelle chute en pensant qu’une bosse, ça suffisait !

Elle avait ressenti un vertige, mais sans perdre connaissance. Toujours assise sur le parquet, elle avait visionné ce qu’elle venait d’enregistrer. Et la caméra du mobile avait révélé ces étranges objets en mouvement dans le ciel. Elle allait stopper la vidéo quand elle avait perçu quelque chose d’anormal. Vers la fin de l’enregistrement, juste avant d’éteindre la caméra, au moment où elle baissait le bras, l’objectif avait filmé plus bas et ce sont des bâtiments en ruines qui étaient brièvement apparus à l’écran ; ceux du port, en bas de chez elle. Et à ce moment, elle avait réalisé que ce qui lui avait paru bizarre, c’était l’absence de croisées sur sa fenêtre.

«Merde !» Annie qui ne jurait jamais avait lâché ça en comprenant qu’elle s’était laissé subjuguer par les objets volants dans le ciel et qu’elle n’avait pas pensé à regarder plus bas. Elle était terrifiée. Elle se demandait à quoi elle avait accès : un monde parallèle ou le futur ?

 

Après avoir réfléchi durant quelques minutes, Annie avait enfermé ses lunettes dans une boîte métallique et ensuite entrepris de monter sur le toit de son immeuble pour faire un tour d’horizon. Elle était montée au dernier étage et avait ouvert le puits de lumière à l’aide de la manivelle, elle avait décroché l’échelle du mur et avait grimpé pour se retrouver sur la surface gravillonnée du toit. Elle était anxieuse et avait peur de découvrir ce que son invention allait lui dévoiler.

 

Elle avait à nouveau posé ses lunettes sur son nez et activé le champ électromagnétique et sa poitrine s’était affaissée devant le triste spectacle qui s’offrait ainsi à ses yeux. Tout en filmant, elle s’était mise à pleurer en constatant que plus aucun bâtiment n’était intact. Les objets volants qui lui avaient paru mystérieux et fantastiques étaient subitement devenus laids et dangereux à ses yeux. Et puis, elle avait pris conscience que le vent charriait une odeur acre très désagréable, rappelant à la fois le plastique brûlé et la putréfaction des chairs.

Annie se tenait debout sur le toit de son immeuble et elle remarquait que là où elle se trouvait était la seule partie du toit intact. Elle avait alors pris conscience du danger de son invention: que lui serait-il arrivé si en activant ses lunettes elle s’était trouvée dans le vide ? Elle réfléchissait à ça quand un éclat lumineux avait attiré son regard: quelque chose comme un rayon vert ou un missile était sorti d’un des objets volants qui évoluait à quelques dizaines de mètres au-dessus du sol, un peu plus loin. Ce qui était sorti avait presque immédiatement explosé au sol dans une lumière verte et un bruit étrange. Y avait-il des survivants parmi les décombres ? Qui pilotait ces engins ? Etait-ce réel ? Elle avait filmé jusqu’à ce que l’aéronef reprenne un peu d’altitude et semble se diriger dans sa direction. La peur l’avait subitement envahie ; une frousse de tous les diables ! Et elle s’était demandé si par hasard ceux qu’elle voyait pouvaient la voir. Elle avait aussitôt éteint le champ électromagnétique et tout était redevenu normal. Il lui avait tout de même semblé qu’au moment où elle avait appuyé sur le bouton de la branche gauche de ses lunettes prototypes, une lueur verte approchait à grande vitesse…

 

De retour dans son appartement, Annie s’était recroquevillée sur son lit. Elle tenait toujours son téléphone. Elle secouait la tête, en proie à un déchirement intérieur, une double sensation: d’un côté la joie et la fierté d’avoir réalisé une découverte importante, et de l’autre un profond malaise qui lui tordait l’estomac. Qu’avait-elle découvert ? Etait-ce une bonne chose ou une catastrophe ? Fallait-il en parler ? «Mon Dieu ! Qu’est-ce que c’est ? Une porte sur l’enfer ? Une boîte de Pandore ? »

 

Au bout de quelques jours passés à réfléchir, dans son lit la plupart du temps, en ayant prétexté un syndrome grippal bidon auprès de sa DRH et obtenu un arrêt maladie de complaisance, Annie avait fini par décider qu’elle ne pouvait pas garder pour elle seule sa découverte: il était peut-être question d’un danger pour l’humanité ou l’accès à une nouvelle dimension. De toute façon, il fallait en savoir plus, explorer, et ça, elle ne pouvait pas le faire toute seule. Il fallait toute une équipe. Elle avait alors demandé un entretien confidentiel avec son patron, et vers dix-huit heures, elle lui avait dévoilé la nature de ses recherches et les résultats obtenus, preuves à l’appui avec les vidéos et la paire de lunettes qu’elle lui avait tendue pour l’essayer. Le champ magnétique était programmé pour ne durer que dix secondes.

En reprenant connaissance, allongé sur la moquette, son patron s’était relevé et était resté un moment à observer la paire de lunettes ; puis il avait empoigné son téléphone et réclamé une ligne sécurisée tout en demandant à Annie de sortir de la pièce et de rejoindre la secrétaire pour un instant…

 

Aujourd’hui, Annie se trouve en région parisienne dans une base militaire secrète souterraine. On lui a confié la confection de plusieurs paires de ses lunettes et un commando spécial a été formé pour aller découvrir «l’autre monde».

La base est immense et comparable à une petite ville. Les quartiers sont séparés par des portes étanches et épaisses qui ne peuvent s’ouvrir qu’à l’aide d’une carte à puce ; un passe très sélectif. Les gens ne se déplacent le long des immenses couloirs qu’à bord de petites navettes électriques. Il y a une partie «vie commune» qui comprend des dortoirs, des restaurants, des salles de vidéo, de gym et une infirmerie qui devrait plutôt porter le nom d’hôpital. D’autres parties concernent différents domaines comme l’armement, le renseignement, la guerre informatique, les opérations et enfin, tout ce qui touche à l’entretien de la base. Et peut-être d’autres encore qui lui sont inconnues.

Annie travaille dans un endroit très éloigné du reste de la structure ; elle y est assignée et elle bénéficie d’un trois pièces tout confort à deux pas de son laboratoire. Tous ceux qui font partie du programme baptisé «PRISMES» sont logés à la même enseigne. Un général est à la tête de ce programme particulièrement sensible et prétendu plus que secret.

Tous les soirs, un briefing est tenu et chaque membre du programme y expose ses remarques, ses questions et ses avancées. Le premier briefing a duré un bon moment et c’est Annie qui a tenu l’assistance en haleine avec ses vidéos, ses théories et ce qu’elle entrevoyait comme actions à mener pour explorer cet «autre monde».

Depuis, ces réunions vespérales durent moins longtemps et chacun dans son domaine élabore des stratégies et échafaude des idées qu’il soumet à l’ensemble du groupe.

 

Il n’y a pas que des militaires, mais des spécialistes comme elle dans des domaines très différents comme celui de la physique quantique, par exemple.

 

Quand le patron d’Annie avait raccroché la ligne sécurisée, il était devenu pâle comme un linge. Il avait appelé sa secrétaire pour qu’elle fasse à nouveau entrer Annie dans son bureau. Une fois la porte capitonnée refermée, il lui avait pris les mains et en la regardant droit dans les yeux et lui avait dit tout bas: «Annie, je suis désolé, mais votre découverte vient d’être placée sous le sceau le plus élevé du secret d’état. Des gens sont déjà en route pour venir vous chercher. Je vous demande de bien vouloir me remettre vos clefs et votre portable.

– Quoi ? Pourquoi ? Que va-t-il se passer ?

– Je ne peux rien vous dire de plus.

– Je dois prévenir mes parents, ils vont s’inquiéter…

– Non ! Eteignez votre portable immédiatement ! Vous ne semblez pas comprendre la portée de votre découverte ni ses implications. »

 

Une heure et quinze minutes plus tard, un hélicoptère noir se posait sur l’héliport de la boîte et des types armés en tenue sombre et cagoulés en sortaient pour embarquer Annie que son patron avait escortée sur le toit de l’immeuble. Elle était effrayée car personne à bord de l’hélicoptère ne lui adressait la parole. Son patron avait remis à un des nouveaux arrivants les affaires d’Annie, avec les lunettes et le portable.

 

Un peu plus d’une heure plus tard, l’hélicoptère se posait sur de l’herbe. Un véhicule de type SUV noir, probablement un quatre-quatre attendait à proximité. Un des gars cagoulé l’a aidée à descendre de l’hélicoptère, l’a accompagnée jusqu’au SUV et lui a ouvert la portière arrière.

À l’autre bout de la banquette, il y avait un militaire âgé d’une soixantaine d’années qui portait quatre étoiles sur ses épaulettes. Il lui a souri: «Bienvenue Annie. Ne dites rien, je vous prie. Nous parlerons quand nous serons en lieu sûr.»

Un des gars en noir est venu frapper à la vitre du côté du général qui a ouvert son carreau, et les affaires d’Annie ont été remises entre ses mains. Le général a regardé les lunettes sous toutes ses coutures sans rien dire et a paru satisfait. Il a fait un signe au chauffeur et le SUV est parti en trombe.

 

Quelques minutes plus tard, le véhicule se garait devant l’entrée d’un tunnel. Le général a invité Annie à descendre et à le suivre. Des militaires en armes étaient en faction devant l’entrée. Le général leur a simplement dit quelques mots et a présenté son badge. Une drôle de voiturette a fait son apparition assez rapidement et Annie est entrée dans ce monde souterrain qu’elle n’a pas quitté depuis six mois déjà.

 

Le général lui a fait visiter une partie de l’établissement et l’a conduite à ses appartements. Sur le lit était disposée une pile de vêtements. Des joggings pour la plupart et des sous-vêtements. Chaque pièce portait déjà son nom et l’initiale de son prénom. Le général a parcouru l’appartement du regard et, en consultant sa montre lui a dit: « Vous avez vingt minutes pour vous doucher et vous changer. Un agent va bientôt venir vous chercher et vous escorter jusqu’à mon bureau. Là, nous parlerons et nous ferons connaissance. À tout à l’heure.»

 

Une fois la porte refermée, Annie s’est assise au bord du lit, elle a pris sa tête dans ses mains et s’est balancée d’avant en arrière pendant un instant. Elle n’arrivait pas à croire ce qui lui arrivait ; tout s’était déroulé si vite ! Et c’était quoi cet endroit ? Une base souterraine ? Ça existe en France, ça ? Et ses parents ? Oh mon Dieu ! Ils allaient probablement mourir d’inquiétude…

 

Vingt minutes plus tard, on frappait à sa porte et un agent en uniforme attendait, assis dans sa voiture électrique.

Les cheveux encore un peu humides, et vêtue d’un pantalon et d’une veste de jogging, sans oublier les baskets blanches, Annie a refermé sa porte et elle est montée à l’arrière du petit véhicule silencieux.

 

Le bureau du général était immense, agrémenté d’une table de conférence et d’écrans fixés aux murs, tous éteints à ce moment-là. Le général l’a invitée à s’assoir dans un des fauteuils près d’une table basse et lui a proposé de boire un café ou un thé, ou un verre d’eau ? Annie a opté pour le café.

«Mademoiselle Simon, Annie… Je suis votre nouveau patron… Du moins, si ce que l’on m’a dit est vrai à propos de vos travaux et de votre découverte. Appelez-moi Arnaud, ce sera plus facile.

– Que vous a-t-on dit ?

– Que vous aviez créé un outil permettant de voir autre chose que notre réalité.

– C’est très en dessous de la vérité.

– Vraiment ?

– Oui. Ma découverte ne vous fait pas seulement voir «un autre monde», elle vous y projette.

– Grands Dieux ! Comme vous y allez !

– Vous n’avez pas encore vu les vidéos ?

– Si. Bien avant que vous n’arriviez ici.

– Comment est-ce possible ?

– Réseau crypté, vous connaissez ? Votre patron me les a envoyées par messagerie cryptée pendant qu’il me téléphonait. À propos des vidéos, on peut très bien obtenir le même résultat avec quelques logiciels.

– Sortez avec moi et testez les lunettes, vous vous rendrez compte de leur effet.

– Ce ne sera pas la peine. Je vous testais.

– Dites… je vais rester ici pendant combien de temps ? Mes parents, vous comprenez ? Ils vont s’inquiéter de mon absence…

– Hum… Il me semble que vous avez appelé votre père pour lui annoncer que vous partiez en urgence aux USA pour le compte de votre boîte, afin de vous associer à un groupe de recherches. Vous ne pouviez pas lui en dire plus, et vous étiez déjà à l’aéroport de Guipavas pour gagner Paris et ensuite prendre un vol long courrier à destination de Los Angeles. Il a bien compris que c’était une opportunité incroyable pour votre carrière, et vous sembliez tellement excitée par ce voyage ! Vos parents recevront régulièrement des cartes postales.»

Annie en était restée bouche bée !

« Ce que vous avez découvert, Annie ; ce voile que vous avez levé… Nous devons savoir ce que c’est. Et vous aussi, j’imagine. Dites-moi ce que vous en pensez.

– Ce que j’en pense ? Je crois que c’est dangereux, ensuite, il s’agit soit du futur ou d’un futur possible, ou alors un accès à une autre dimension.

– Vous pensez qu’avec votre appareil, on peut interagir de l’autre côté avec ce qui s’y trouve?

– J’en ai bien peur, de même qu’il m’a semblé ne pas passer inaperçue…

– Vous faites allusion à la fin de la dernière vidéo ? N’est-ce pas ?

– Exactement. Je crois qu’il était grand temps d’arrêter mon immersion.

– Une immersion ! C’est le mot juste ! Comme une plongée dans un milieu inconnu. Annie, je vais vous confier la direction d’un laboratoire. Vous disposerez de locaux et aurez les matériels nécessaires. Tout sera mis en place dès demain matin.

Vous faites désormais partie d’un programme ultra secret qui consiste à comprendre ce qui se trouve de l’autre côté, et de l’explorer. Et… Dernière question: Croyez-vous possible de modifier votre appareil pour disons, choisir une fréquence ou une autre qui nous feraient entrer dans des univers différents ?

– J’y ai pensé, mais je n’ai pas encore travaillé sur ça.

– Excellent ! J’ai cru comprendre que vous viviez seule… Pas de petit ami ? »

Annie s’est légèrement empourprée mais a donné le change en soupirant : « Je n’ai pas le temps pour ça. Mes recherches m’occupent à temps complet.

– Je vous remercie Annie et je vous libère. L’agent  qui vous a amenée ici vous attend et va vous reconduire à vos appartements. Faites l’inventaire de votre réfrigérateur, du congélateur et de vos placards ; vous y trouverez de quoi vous préparer vos repas. Votre téléviseur est connecté à notre réseau interne et vous bénéficiez de bouquets de séries et films en tous genres. Ah… Une dernière chose… Demain matin, vous devrez passer une visite médicale et… Ne parlez de la raison de votre présence en ces lieux à personne en dehors de votre équipe qui vous sera présentée demain… »

 

Annie s’est réveillée en sursaut à cinq heures du matin, prise de panique en constatant qu’elle n’était pas dans son propre lit et qu’elle ne reconnaissait pas son environnement. Le trouble n’a duré que quelques secondes et la mémoire des derniers événements lui est revenue. Elle a allumé la lampe de chevet et s’est levée pour enfiler son jogging.

Dans le coin cuisine, elle s’est préparée un café serré avec deux dosettes et a sorti un croissant du congélateur qu’elle a passé quelques secondes au four micro ondes.

L’ambiance était silencieuse dans cet appartement si sobre, avec comme seule décoration un poster de plage bordée de cocotiers, encadré et sous verre… Probablement le must de la déco chez ces militaires a-t-elle pensé en levant les yeux au ciel.

Au-dessus de la porte d’entrée, un haut parleur métallique gris était fixé au mur. Le mobilier se réduisait à une table basse dans le salon, disposée devant un canapé en tissu, un bureau accolé au mur d’en face et au-dessus duquel un grand écran plat était fixé sur un bras articulé. Du côté chambre, un lit d’une place avec table de nuit intégrée et une lampe de chevet posée dessus. Dans la cuisine, pas de table, mais un espace en mélaminé imitant le granite en forme de demi-lune, fixé au mur sous lequel un tabouret était rangé et un grand plan de travail intégrant un évier. Sous ce plan, quelques placards contenant de la vaisselle. Sans oublier l’horloge murale radio guidée.

Le cabinet de toilette comprenait une douche à l’italienne en PVC, un lavabo sur colonne sous un miroir éclairé par des leds et  un WC dont la chasse d’eau était intégrée au mur.

 

Annie, soudain prise d’une forme de paranoïa a inspecté tous les murs et les objets, à la recherche d’éventuelles caméras ou de micros, mais n’a rien trouvé. Elle a ensuite ouvert la porte de son appartement afin de vérifier qu’elle n’était pas recluse ; mais la porte s’est ouverte sur un couloir éclairé en rouge. Elle en a déduit qu’ici, les gens restaient beaucoup de temps sans sortir à l’air libre et que le passage de la lumière blanche à la rouge symbolisait le jour et la nuit pour respecter le rythme biologique des personnels, comme à bord des sous-marins et des bâtiments de surface de la marine nationale. Elle a refermé sa porte et est allée prendre une douche.

À cinq heures trente, à nouveau assise au bord de son lit, elle se tordait les doigts en se demandant comment se passerait sa journée quand elle s’est intéressée à la télévision. En l’allumant, un menu est apparu proposant les chaînes de la TNT, des films, des séries, des documentaires, de la musique et des chaînes de radio. Elle a tout essayé pour se rendre compte du panel proposé. Elle a été surprise par l’immensité des œuvres disponibles et a souri quand elle a remarqué dans la rubrique «films» une sous catégorie intitulée «NANARDS», parmi les genres habituels. En fait, cela lui rappelait un peu YouTube, mais en plus varié, et sans la publicité.

À six heures, les lampes du plafond se sont allumées la chanson «Champions» de QUEEN est sortie du haut parleur, au-dessus de la porte. Annie a pensé que comme réveille-matin, c’était plutôt efficace ! Bien qu’elle aurait préféré un autre air, et en français.

 

On a frappé à sa porte à six heures et demie. En ouvrant, Annie a constaté que la lumière du couloir était à nouveau blanche. Une voiturette l’attendait et une fois montée à bord, elle a parcouru un long chemin pour s’arrêter près d’une grande porte blanche décorée par une croix rouge. Après avoir remercié son chauffeur qui ne lui a pas répondu, elle a frappé à la porte et au bout d’un moment, comme personne ne venait à sa rencontre, elle a ouvert. Une petite voiturette à deux places l’attendait et le chauffeur qui portait une blouse blanche a simplement demandé: «Annie Simon ?»

– Oui.

– OK. Montez.»

Elle a pris place à côté du chauffeur et quand elle a voulu lui parler, il lui a immédiatement coupé la parole: «Vous venez d’arriver ? On n’est pas censé discuter ; je vous conduis, c’est tout.»

Annie a eu une moue de déception et de frustration. L’infirmerie semblait finalement ressembler à un complexe hospitalier avec de longs couloirs et des bifurcations fermées par de lourdes portes. Elle s’est dit que si elle se perdait ici, elle n’en ressortirait jamais !

La voiturette s’est finalement arrêtée devant une porte vitrée et, au moment où elle descendait du véhicule, son chauffeur lui a attrapé le bras et quand elle a tourné la  tête pour lui faire face, il a barré sa bouche de son index en lui faisant un clin d’œil. Sans le moindre sourire…

Elle a poussé la porte et s’est retrouvée devant une banque derrière laquelle deux jeunes femmes en blouse blanche s’affairaient sur des claviers. En l’apercevant, l’une d’entre elles lui a demandé son nom et son prénom, puis elle a pris un dossier et lui a demandé de la suivre. Annie s’est retrouvée dans une petite pièce où une infirmière l’a pesée, l’a mesurée, a pris sa tension, son pouls et lui a présenté des planches de cercles remplis de points colorés représentant des chiffres ou des formes qu’elle devait identifier ; ensuite elle lui a remis un questionnaire et un stylo. Les questions tournaient autour de ses habitudes de vie et de ses antécédents médicaux: allergies, maladies, interventions chirurgicales. Ceci fait, on lui a fait subir un électrocardiogramme. Enfin, elle lui a prélevé du sang dans quelques tubes aux bouchons de différentes couleurs.

L’infirmière ne lui aura pour ainsi dire pas adressé la parole, ne desserrant les mâchoires que pour faciliter le déroulement de la visite médicale.

On lui a demandé d’attendre sur une chaise dans le couloir, et un médecin est venu la chercher. Il l’a invitée à entrer dans son cabinet et, une fois la porte refermée, il lui a annoncé qu’ils ne parleraient que de sa santé, rien que de sa santé. Elle a acquiescé.

 

Une demi-heure plus tard, elle sortait du cabinet et l’infirmière la raccompagnait jusqu’à la porte vitrée. Son chauffeur qu’elle soupçonnait d’avoir un manche à balai dans le cul l’attendait.

Il ne l’a pas ramenée à sa chambre, mais a poursuivi sa course, toujours silencieux, jusqu’à une porte blindée portant le numéro 122. Là, un système à carte lumineux dépassait du mur sur la gauche. Le chauffeur a juste dit: «descendez et attendez».

Annie s’est retrouvée devant l’immense porte métallique sans savoir ce qu’elle devait faire. Etait-ce un test ? Y avait-il un bouton de sonnette ? Une caméra à laquelle elle devait faire face pour que la porte s’ouvre ? Elle ne voyait rien de tout ça. Elle inspectait le boîtier quand le général est arrivé en voiturette. Il s’est approché d’Annie en souriant et a sorti une carte de sa poche: «je crois que vous devriez essayer ça…» de la taille d’une carte de crédit, avec une puce électronique, le petit bristol comprenait sa photo et son identité, ainsi qu’un nombre d’une grande quantité de chiffres.

«C’est votre passe, Annie. Il vous ouvre quantité de portes dans notre base. Il est très précieux, ne le perdez surtout pas. Passez-le dans le lecteur et découvrez votre laboratoire.

Quand la lourde porte s’est ouverte dans un étrange bruit pneumatique et d’enclume pour disparaître dans le mur, un immense espace éclairé s’est offert à la vue d’Annie. Une fois entrés, la porte s’est automatiquement refermée derrière eux. Elle n’en croyait pas ses yeux ! Du matériel dernier cri dans le domaine optique et magnétique était réparti dans le laboratoire ; il y en avait pour une véritable fortune… Annie et le général se trouvaient au milieu de la grande pièce et Annie avait un peu le tournis en découvrant les appareils si précieux et tellement sophistiqués qui avaient été apportés là pour elle. Elle se sentait… Heureuse ?

La porte s’est à nouveau ouverte et le général, en arborant un large sourire a désigné le petit véhicule qui entrait avec sa remorque grillagée.

«Annie, il manquait encore du matériel pour que ce laboratoire soit vraiment le vôtre, voyez…»

Dans la remorque, Annie a reconnu ses propres appareils, ses ordinateurs et… son coffre-fort ?

– Comment avez-vous fait pour enlever le coffre ? Il était scellé et boulonné !

– Nous avons nos talents…

– L’avez-vous ouvert ?

– Non. Tout ce qui apparaît privé le reste. Maintenant, si vous considérez que son contenu ne l’est pas, nous serons ravis d’en prendre connaissance.

– Ce coffre contient l’historique et les résultats de toutes mes recherches antérieures. Cela n’a aucun rapport avec ce qui m’a amenée ici.

– Fort bien ! C’est votre décision et nous la respectons.

– Au fait, c’est qui «Nous» ?

– Voyons Annie, la France ! C’est la France ! Ah ! Voici l’équipe qui arrive ! »

 

L’équipe, s’est avérée composée de deux groupes: des militaires, au nombre de dix ; jeunes, musclés et secs, en civil mais reconnaissables à leur coupe de cheveux rase. (Annie apprendra qu’ils proviennent tous des commandos marine). Et les autres, plus âgés et à l’allure moins athlétique et nullement martiale… Six spécialistes reconnus, des pointures dans leur domaine respectif.

Autant les militaires semblaient heureux de participer au projet que les autres ne paraissaient pas du tout emballés de se retrouver là.

 

Les choses ont changé depuis, il leur aura suffi de visionner les vidéos et d’apprendre comment Annie en était venue à faire cette stupéfiante découverte.

 

De tables rondes en briefings, une stratégie a vu le jour: les commandos iraient par binômes et par étapes explorer «l’autre monde». Ils rapporteraient des échantillons et tenteraient de trouver, le cas échéant, des indices permettant d’affirmer ou d’infirmer certaines des théories avancées.

Les scientifiques, quant  à eux, planchaient déjà sur de possibles améliorations des lunettes qu’ils sont tous d’accord pour intégrer à un casque.

Annie a informé l’équipe que le premier essai provoque une syncope au moment du retour et qu’ensuite, les fois suivantes, ce phénomène s’estompe pour finalement disparaître.

La question de la dangerosité d’une telle expérience a été abordée. Annie a répondu qu’elle n’avait rien remarqué après trois immersions et le général a suggéré d’en avoir le cœur net en lui proposant de passer un examen IRM et quelques autres complémentaires. Annie n’a pas caché sa surprise, mais en remarquant que les commandos l’observaient, elle a accepté car, ils allaient probablement devoir effectuer bien plus d’immersions qu’elle, et ils devaient savoir à quoi ils s’exposeraient.

 

Annie a donc subi toutes sortes d’examens sans sortir du complexe souterrain. Elle n’en revenait pas de découvrir une telle débauche de moyens. Elle a même eu droit à la cabine de spectrométrie gamma. Tous les résultats se sont révélés normaux.

 

La priorité a d’abord été donnée à l’équipement des commandos. Le casque a été dessiné pour intégrer les lunettes sans que ces dernières ne soient une gêne dans leur progression. Ils devraient pouvoir communiquer entre eux par radio et leur point de départ serait la partie la plus critique des opérations car il fallait trouver un endroit suffisamment désertique pour ne pas risquer de chuter de l’autre côté, de se retrouver coincé dans une maçonnerie ou encore de se noyer par exemple. L’idée d’envoyer en première intention une caméra grand angle mobile avec une course en verticalité, montée sur trépied équipée du système inventé par Annie avec une durée d’activité magnétique d’une minute a simplifié les choses. Annie a fabriqué d’autres modèles plus compacts équipés d’un bouton intégré à un des gants des commandos pour désactiver le champ magnétique plus rapidement, en cas d’extrême urgence ; l’interrupteur sur la branche restant une deuxième possibilité.

Pour ce qui est de l’armement, ils étaient les mieux placés pour décider de ce qu’ils souhaitaient emporter.

 

Un des commandos a posé une question terrible: « Si un binôme se fait tuer lors d’une progression, comment fait-on pour retrouver nos camarades et les ramener ? Puisque, une fois passés de l’autre côté, on ne peut les suivre… » Il a été décidé d’équiper chaque «plongeur» d’une balise activable à distance et repérable sur un écran.

 

Les premières immersions se sont déroulées en bord de mer, sur de grandes plages de sable. La zone était bouclée par la gendarmerie et les quelques riverains qui habitaient à proximité ont été informés que des exercices militaires étaient en cours et que le littoral leur était momentanément interdit, pour leur sécurité, évidemment.

Les plongées au début ne devaient pas dépasser les cinq minutes. Les caméras sur trépied se sont révélées efficaces et indispensables. Elles ont filmé le ciel et les formes rondes ne sont que rarement apparues. Les commandos ont rapporté que les maisons des riverains avaient disparu sans laisser aucune trace. L’océan semblait tout à fait normal et ils n’ont pas vu d’oiseaux. Les échantillons d’eau de mer prélevés n’ont rien révélé d’anormal.

Les immersions ont continué et sont passées à une durée d’une heure. Les commandos se succédaient et semblaient se lasser ; ils s’étaient attendu à probablement plus d’action.

 

Le général a beaucoup tenu à donner de sa personne en accompagnant un des binômes lors d’une « plongée ».

Quelques jours plus tard, il a été proposé de changer d’endroit pour se rapprocher d’une zone urbaine et les commandos se sont regardés en souriant. Leur manque d’adrénaline était criant et ils n’espéraient pas mieux que de s’approcher du danger. Et c’était programmé pour le lendemain.

 

Le soir même, comme souvent, Annie préparait son repas préféré : des coquillettes avec une énorme dose de concentré de sauce tomate et une boîte de thon en miettes qu’elle se promettait d’assaisonner d’un bon peu de mayonnaise en tube. Elle en salivait, rien qu’en y pensant. Elle trouvait cela simplement délicieux et, facile à préparer avec des aliments qui peuvent se stocker dans un placard… La cuisine n’ayant jamais figuré parmi la liste de ses priorités.

 

Ce soir là, à minuit, elle visionnait le film «Platoon» pour au moins la dixième fois, pleurant comme une madeleine au moment où  Willem DAFOE tombe sous les balles des Viêt-Cong, les bras en l’air, après avoir été traîtreusement blessé et laissé pour mort par Tom BERANGER. « Quel salaud celui-là » Ne peut-elle s’empêcher de penser à chaque fois en s’essuyant les yeux. « Merde, je ne suis qu’une midinette ! » À la fin du film, elle a éteint la télévision et a décidé de se coucher et s’est endormie presque aussitôt.

Son sommeil a été ponctué de cauchemars courts, intenses et répétitifs. Elle y voyait sa ville natale, Brest, en ruines fumantes comme lors de sa première « plongée ». Elle se déplaçait dans les rues encombrées de gravats noircis et elle finissait toujours au bas de l’immeuble de ses parents, et là, immanquablement, elle découvrait avec horreur le corps de sa mère à moitié enseveli sous les blocs de béton et les ferrailles. Seules les jambes ensanglantées dépassaient des vestiges de l’immeuble, mais elle savait qu’il s’agissait de sa mère. Elle pleurait toutes les larmes de son corps et elle était partagée entre une infinie et douloureuse tristesse combinée à une certaine satisfaction mâtinée de sadisme qui l’effrayait plus que tout.

Lorsque Freddy Mercury a entonné sa célèbre chanson dans le haut-parleur, Annie s’est à nouveau réveillée en sursaut, trempée de sueur et l’estomac noué. Elle s’est assise dans son lit et a enfoui son visage dans ses mains pour pleurer. Tout en sanglotant, elle remerciait le Seigneur pour que toute cette horreur ne soit en définitive qu’un cauchemar.

 

En arrivant au labo, Annie avait toujours les traits tirés, mais elle tenait à montrer de l’enthousiasme et elle s’efforçait de chasser de son esprit les jambes ensanglantées de sa mère. Elle a demandé au général l’autorisation d’accompagner un binôme de commandos afin de se rendre compte de ce qui se passe sur le terrain, près d’une ville (verrait-elle la moitié de sa mère dépasser des ruines ?) et assister les militaires en couvrant leurs arrières.

Tout se passait à merveille ; les équipements fonctionnaient parfaitement et ils progressaient assez facilement à proximité de la ville. Les commandos marchaient devant et Annie les suivait, attentive à tout ce qui se passait autour d’eux et dans le ciel.

Quand au détour d’une rue les deux militaires se sont figés, elle n’a pas compris ce qui se passait. Elle avait beau scruter tout autour d’eux, elle ne voyait pas ce qui les perturbait autant. Quand ils se sont mis à hurler qu’ils devaient se replier immédiatement et qu’ils ont fait usage de leurs armes en tirant dans toutes les directions, Annie a enlevé les lunettes des militaires avant d’ôter les siennes.

Les deux commandos avaient la mâchoire serrée. Ils étaient pâles, mais ils étaient calmes. Annie leur a demandé ce qu’ils avaient vu pour ouvrir le feu alors qu’elle, n’avait rien remarqué du tout.

– Vous ne les avez pas vus ?

– Quoi donc ?

– Les djihadistes avec leurs drapeaux noirs ! Il en sortait de partout ! Et ils nous tiraient dessus.

– Non. Je n’ai rien vu. Passez-moi votre carte mémoire et tenez… Visionnez la mienne. »

Assise  proximité d’un rond point, Annie faisait défiler les images enregistrées par la caméra du commando et, effectivement, en changeant de rue, des quatre-quatre d’où sont sortis des types armés et vêtus de noir sont apparus. Les véhicules portaient des drapeaux noirs à la gloire de daesh. Les arrivants ont immédiatement ouvert le feu en direction de la caméra et une multitude d’assaillants est apparue parmi les ruines, semblant sortir de nulle part comme une armée nombreuse spontanément générée.

Annie, outre l’attaque, a remarqué que les ruines n’étaient pas identiques à celles qu’elle avait vues : ce n’étaient pas des immeubles comme ceux que l’on peut voir en France, mais plutôt des constructions sommaires qui lui faisaient penser à ces villages du moyen Orient.

 

De retour au complexe militaire, Annie et les commandos se sont installés autour de la longue table pour le débriefing. Le  grand écran mural était partagé en trois et les images des trois caméras défilaient de façon synchrone. Les trois images paraissaient identiques jusqu’au moment où le groupe a tourné à droite pour entrer dans une autre rue. La caméra d’Annie enregistrait toujours une continuité dans le style urbain assez sombre alors que les caméras des commandos découvraient une bourgade bien différente aux murs clairs et aux allures orientales. Quand les assaillants sont apparus aux commandos, Annie ne voyait rien de spécial. Dans la salle, tout le monde paraissait perplexe. Le général se grattait le menton et semblait interroger Annie du regard quand un des autres militaires a remarqué quelque chose sur la partie de l’écran qui contenait la vidéo d’Annie. Il a mis la vidéo en pause, sélectionné une portion de l’image et a zoomé. Le général a demandé ce que pouvaient bien représenter ces deux taches claires au sol un peu plus loin. Annie, tout en laissant ses larmes couler le long de ses joues a répondu : « Ce sont… Ce sont les jambes de ma mère… Du moins, c’est ce que je crois… »

Le général a paru se contracter : « Expliquez-nous ça, Annie.

– Je crains que mon invention ne nous envoie pas dans un autre monde ni dans un autre temps ; mais plutôt dans notre surmoi ou notre inconscient ou subconscient… Au plus profond de nos émotions, nos angoisses et nos peurs. Je suis désolée. Je me suis trompée.

– Et comment expliquez-vous que les « plongeurs » disparaissent de notre réalité durant ces expériences ?

– Aucune idée… Il faudrait tester avec de nouvelles recrues en leur affirmant qu’ils resteront présents durant leur plongée… J’ai peut-être induit ce phénomène dans vos esprits, sans le vouloir.

– Mais les caméras, elles ne peuvent pas mentir ?

– Je crains que mon appareillage ne les relie directement à ce que nous voyons ou croyons voir. Le champ électromagnétique induit a peut-être davantage d’effets que ce que nous lui attribuons. »

 

 

 

Annie est rentrée chez elle à Brest la veille au soir avec un billet d’avion Los Angeles/Paris, un aller simple en première classe (évidemment), et un autre billet Paris/Guipavas. Ses parents sont venus la chercher à l’aéroport près de Brest et ils ont dîné ensemble. A la fin du repas, Annie a sorti de sa valise deux paquets enveloppés dans un papier chic portant le nom du magasin « The Grove », une paire de Nike pour son père et un nécessaire de maquillage pour sa mère. Ils étaient ravis. Quand sa mère s’était assise sur le canapé pour ouvrir son paquet, Annie avait ressenti un terrible frisson en portant son attention sur les jambes de celle qui lui avait donné le jour et qui, douze ans plus tard lui fermait la porte de la jouissance à double tour et jetait la clef aux oubliettes.

 

 

Ce matin, des déménageurs ont sonné à sa porte pour lui installer sont matériel et son coffre-fort. Les agents n’ont rien dit, ils avaient des photos pour leur indiquer où poser les différents appareils. Le coffre a été boulonné exactement là où son père l’avait fixé. Elle reprendra son boulot la semaine prochaine. Elle est assise dans son canapé et se fait la réflexion que son Jean est bien moins confortable qu’un jogging et qu’elle va probablement en acheter deux ou trois très prochainement quand son téléphone portable sonne. « Allo ?

– Comment allez-vous Annie ?

– Général ? Ça va… Je crois que la vie me paraîtra un peu fade après…

– Arnaud. C’est comme ça que vous devez m’appeler.

– Eh bien, Arnaud puisque vous insistez, comme je vous le disais, ma vie…

– Votre vie va changer, Annie. Il faudrait que vous veniez à Paris pour signer un contrat d’embauche ; un CDI comme chercheuse pour la Défense. Vous serez mon bras droit.

– Mais… Je croyais que mon invention était un véritable fiasco ?

– Ce n’est pas ce à quoi vous pensiez, certes. Mais c’est tout sauf un fiasco ! Croyez-moi ! Vous n’imaginez pas  à quel point vos lunettes vont nous être utiles dans certains domaines.

– C’est-à-dire ?

– Voyons Annie, Servez-vous de votre tête. Vous vous doutez bien que je ne peux pas développer sur le sujet au téléphone.

– J’imagine que vous avez raison. Il va falloir que je trouve un logement sur Paris ou…

– Votre appartement est déjà loué dans une résidence et votre bail débute lundi prochain. Vos meubles seront pris en charge dans la même journée et vous pourrez vous installer dans la soirée.

– Et mon contrat ? Il débutera quand ?

– Lundi prochain, évidemment ! Nous avons rendez-vous à neuf heures. Un coursier va vous apporter vos billets d’avion et votre contrat d’engagement. J’aimerais que vous repreniez vos travaux sur la réfraction lumineuse et la polarisation des verres ; vous pouvez obtenir mieux, j’en suis certain. C’est un domaine très prometteur !

– Arnaud ? Vous avez ouvert mon coffre et consulté mon carnet et mes notes !

– Hum… Je dois bien admettre que ma curiosité a été piquée et…

– Vous êtes un enfoiré, Arnaud…

– Voyons Annie, ne le prenez pas comme…

– On en reparlera lundi prochain. En attendant, mettez-moi une dizaine de joggings de côté. À lundi Arnaud. »