PLUIE D’ETOILES

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PLUIE D'ETOILES
NOUVELLE FANTASTIQUE

PLUIE D’ETOILES

 

 

 

Regarde, là-haut ! Oh ! La belle jaune !

 

 

 

 

Mélanie pédale gentiment et progresse dans son quartier paisible en cette fin d’après-midi d’été. Elle se rend chez Josh, son vieil ami; un passionné comme elle, amoureux des étoiles.

Le vélo de Mélanie grince un peu; probablement à cause d’un manque d’huile sur la chaîne ou bien les patins de freinage qui frottent contre la roue un peu voilée. Ses cheveux volent un peu au vent et elle aime cette sensation.

Il fait un si beau soleil dans ce grand ciel bleu. Se déplacer à cette vitesse, décontractée et somme toute assez joyeuse n’a pas de prix; surtout quand on affiche soixante-cinq printemps au compteur ! Pédaler fait du bien et entretient l’horlogerie et les canalisations… C’est ce que prétend Josh en plaisantant, à chaque fois qu’ils évoquent les bienfaits du vélo.

Mélanie pédale doucement et longe le trottoir des petites rues de son quartier. Elle a bien fait de choisir un pantalon flibustier assez large et court; les bas des pantalons traditionnels se retrouvent souvent tachés de graisse et même avec de l’eau écarlate, ils restent maculés et la plupart du temps ils sont foutus.

Aller chez Josh ne lui prendra pas plus de dix minutes en pédalant si doucement. La fin d’après-midi commence à modifier les couleurs du jour et pas mal d’enfants jouent, courent et poussent des cris joyeux sur les pelouses fraîchement tondues. Certains jeunes lui font signe de la main quand elle passe près d’eux. Elle leur rend la politesse avec un large sourire.

Josh a promis que ce serait l’événement de l’année et que pour fêter ça, il organisait une soirée barbecue avec au menu des saucisses, des ailes de poulet et des steaks marinés à sa façon. Tout un programme !

Sur le porte-bagages du vélo, Mélanie a amarré un panier en osier avec deux sandows. Le panier contient une bonne bouteille de vin rouge qu’elle a acheté spécialement pour l’occasion et un saladier en plastique rempli d’une salade composée qu’elle a préparé elle-même pour compléter le repas. Elle n’est pas du tout portée sur la viande et préfère les légumes.

 

Josh était surexcité au téléphone. La météo serait idéale pour observer le phénomène : pas un nuage et un ciel d’encre étoilé. Il a promis que ce serait merveilleux.

Mélanie se doute que l’enthousiasme débordant de Josh n’est pas seulement dû au phénomène, mais grandement au fait qu’elle ait accepté de passer la soirée avec lui, chez lui.

Elle imagine qu’il doit être sur le pied de guerre depuis les aurores, qu’il a sûrement fait un grand ménage avant de se rendre au supermarché pour y faire ses courses. La vision de Josh en train d’astiquer ses sols élargit encore davantage le sourire de Mélanie.

Depuis le temps qu’ils se connaissent, et qu’ils s’apprécient mutuellement, ils auraient pu… Cette idée qui vient de lui passer par la tête lui fait monter le rouge aux joues et elle la chasse aussitôt de son esprit pour se concentrer sur la route.

Mélanie et Josh se connaissent depuis quinze ans. Ils se sont rencontrés sur le Net, sur un forum regroupant les passionnés d’astronomie. Ils avaient échangé pas mal sur le sujet avant de se rendre compte qu’ils vivaient à quelques centaines de mètres l’un de l’autre. A cette époque-là, le mari de Mélanie, Bernard était encore en vie et en bonne santé. Tout allait bien pour eux et la vie était belle. C’était deux ans avant qu’une douleur sournoise au genou ne vienne inquiéter Bernard. Ils n’avaient jamais entendu parler d’une horreur pareille : un cancer foudroyant niché dans cette articulation et qui allait envahir son corps en un temps si court. Un traumatisme qui la laminerait pendant deux ans.

Josh l’avait aidée; il avait été présent tout en sachant rester discret et c’est ce qui avait renforcé leur amitié au point de les rendre inséparables. Le vieux garçon qui ne s’était jamais marié avait su lui apporter son soutien avec délicatesse et tact, se tenant en retrait pour ne pas induire de situation équivoque. Mélanie avait apprécié ça.

Josh est un ancien universitaire; en réalité, il se prénomme Joseph mais depuis longtemps, tout le monde l’appelle Josh. Professeur de littérature, il a mené une carrière exemplaire et a accueilli la retraite comme une bénédiction car libéré de ses contraintes professionnelles, il peut désormais entièrement se consacrer à sa passion : les étoiles. Il a d’ailleurs réussi à publier un ouvrage de vulgarisation qui ne s’est pas trop mal vendu…

Il habite une maison d’aspect extérieur modeste mais fonctionnelle, pratique, lumineuse et moderne à l’intérieur. La maison est entourée d’une pelouse et Josh a construit lui-même un barbecue en dur en bordure de sa terrasse. Il en est assez fier.

En cette période estivale, un nuage de météorites a été détecté et les spécialistes annoncent une pluie d’étoiles filantes vers vingt-trois heures, ce soir, au-dessus de l’Europe. Et pour Josh, il s’agit-là d’un événement majeur qu’il ne raterait pour rien au monde et pour cette occasion, il a sorti son télescope et son appareil photo équipé de son zoom le plus puissant. Les deux appareils sont déjà en place sur la terrasse, vissés sur leur trépied et recouverts d’une housse protectrice.

Il a nettoyé le salon de jardin et déposé une nappe à carreaux sur la table. Dans la cuisine, des amuse-gueule finissent de cuire dans le four. Josh sifflote « Starman » un air de Bowie. Il est heureux de se retrouver à nouveau en compagnie de Mélanie pour l’occasion. Mélanie, son amie, la seule.

Josh avait été étonné par les interventions sur le forum de celle qui allait devenir si proche plus tard. Ses connaissances, la pertinence de ses questions et l’originalité de ses idées. Et puis, leurs échanges étaient devenus amicaux sans qu’il ne se sente envahi. Quand il avait découvert qu’elle résidait si près de chez lui, il en était resté médusé; une telle coïncidence ! Ils s’étaient rencontrés et à cette occasion, il avait fait la connaissance de Bernard, son mari et il l’avait trouvé sympa et fiable.

Les décès de Bernard l’avait beaucoup affecté et il s’était dit que la moindre des choses qu’il pouvait faire, c’était d’aider Mélanie à surmonter cette catastrophe. Et depuis tout ce temps, ils se voyaient régulièrement et communiquaient par mails et SMS; le plus souvent à propos de l’astronomie; l’un comme l’autre étant très pudiques.

 

 

Mélanie arrive devant chez Josh au moment où celui-ci embrase l’épaisse couche de charbon de bois dans l’âtre du  barbecue. Elle fait retentir la sonnette du vélo et fait un signe de la main à l’intention de son hôte.

Josh lève la tête et répond de la main qui porte un gant de cuisine. Il lui fait signe d’approcher : Bonsoir Mélanie, viens garer ton vélo contre le mur, installe-toi, je vais chercher des rafraîchissements… Bière ou jus de fruit ?

_ Bière, pourquoi pas ? Cela fait un bail que je n’en ai pas bu. J’ai apporté une salade et… Une bonne bouteille de Bourgogne !

_ Wow ! Super ! Merci. Assieds-toi, je reviens dans une minute.

Après les bières et les amuse-gueules, les grillades se sont succédé. Josh a dévoré le poulet et les saucisses avec gourmandise et Mélanie a grignoté un petit bout de poulet, une bouchée de saucisse et elle a jeté son dévolu sur la salade composée. Les steaks marinés sont restés au réfrigérateur. Mélanie, en riant a taquiné Josh: comme d’habitude, tu as prévu de la nourriture pour tout un régiment…

_ Oh ! Mais ce sera mangé ! Rien ne sera perdu.

 

Le soir est tombé et les deux amis sirotent un verre de vin rouge épais et délicieux. Le vin les grise un peu et ils discutent des étoiles, des quasars, des trous noirs et de la théorie des cordes, des multivers; tout ce qui les passionne et les font rêver.

Josh regarde sa montre: Oh ! C’est pour bientôt ! Il se lève de sa chaise et entreprend de décapuchonner le télescope et son appareil photo. Il repasse un coup de chiffonnette sur les lentilles pour la troisième fois de la journée.

_ On est prêts pour le grand spectacle ! Dès qu’on voit quelque chose, on se colle derrière l’objectif, OK ?

_ Oui Maestro ! Je prends le télescope ?

_ Si tu veux bien. J’ai envie de prendre des clichés et de filmer aussi.

_ C’est parfait pour moi.

Josh et Mélanie croisent les bras sur leur poitrine et scrutent le ciel étoilé. Au-dessus d’eux, la grande Ourse occupe une bonne portion de l’espace.

Mélanie sursaute et pointe son index vers le ciel : Là ! Regarde ! Ça commence ! Juste au-dessus de nous…

 

Josh parcourt les quelques mètres qui le séparent de son appareil photo, le désolidarise du trépied et s’allonge sur l’herbe pour filmer le phénomène si rare. Mélanie s’allonge à côté de lui et après avoir réduit les pieds du support, colle son œil sur la lunette.

Une multitude de points lumineux apparaissent les uns après les autres et rapidement, c’est tout un bouquet qui illumine le ciel.

_ C’est magnifique ! Chuchote Josh.

_ Oui. Toutes ces poussières d’étoiles qui s’embrasent dans notre atmosphère, elles viennent peut-être des confins de notre univers. Elles arrivent droit sur nous, non ? Elles font quelle taille au juste ?

_ Je… Je ne sais pas trop… Ce n’est peut-être pas très prudent de rester dessous ? Mais… Je vais déposer une bâche sur la pelouse; avec un eu de chance, on en récupèrera une ou deux. Tu sais que certaines de ces petites merveilles se vendent très cher ? Faudra qu’on inspecte les gouttières demain car s’il y en a qui tombent sur le toit, elles finiront leur course dedans.

_ Bonne idée. Mais dépêche-toi de le faire avant que ça ne nous tombe dessus.

_ Je fonce… Je te laisse la caméra pour filmer le ciel…

Josh court et traverse son salon et sa cuisine pour entrer dans son garage. Il sait qu’il a une grande bâche blanche en plastique; elle lui a servi pour protéger les sols quand il a repeint son intérieur, il y a quelques années : Mais où est-elle ? Ah Oui ! Sur l’étagère du haut. Faut l’escabeau… Voilà. Allez, viens par ici toi. Tu vas peut-être nous rendre riches…

Aussitôt revenu sur la pelouse, Josh déploie la bâche constellée de taches de peinture couleur « coquille d’œuf », aidé par Mélanie pour l’étendre sur l’herbe.

Ils lèvent les yeux au ciel le bouquet lumineux s’est considérablement élargi et certains points paraissent plus gros que les autres.

En se grattant le menton, Josh déclare qu’il vaut mieux aller se mettre à l’abri à l’intérieur. Il fait un pas pour suivre Mélanie qui se presse de rentrer mais il se ravise quand il remarque que la bâche n’est pas parfaitement étendue. Il retourne sur la pelouse et s’agenouille pour tirer sur un de ses coins.

Il pousse un cri de douleur et enferme sa main droite dans sa main gauche en grimaçant et il part courbé en deux s’abriter dans le salon. Un vacarme retentit comme par temps de grêle; c’est une véritable pluie de petits météores noircis qui s’abat sur son toit et ses Velux.

La main de Josh saigne abondamment. Il la passe sous l’eau du robinet de la cuisine.

Mélanie accourt : Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu es blessé ?

_ Je voulais une météorite; j’en ai reçu une ! Sur la main. Je crois qu’elle est toujours dedans; elle n’a pas traversé. Peux-tu attraper la boîte à pansements qui se trouve derrière toi dans le placard ? Une boîte en plastique blanche avec une croix verte sur le couvercle.

_ Je l’ai, tu veux quoi ?

_ Le flacon d’iode, le jaune et des compresses. On mettra une bande autour. Punaise ! Ça fait un mal de chien !

_ C’est grave ?

_ Crois pas. Je bouge mes doigts sans problème. Les tendons ne sont pas touchés. J’ai eu du bol.

_ Je n’appelle pas ça du bol moi. Tu aurais pu perdre ta main ou l’usage d’un de tes doigts.

_ Tu entends ça ? Ce sont des météorites qui tombent sur le toit. La moisson des gouttières promet d’être bonne !

Josh presse le flacon de désinfectant iodé au-dessus de sa blessure et remplit abondamment la cavité sanguinolente. Il répète plusieurs fois le rinçage et finit par déposer une épaisse couche de compresses qu’il maintient par un bandage. Mélanie découpe deux morceaux d’adhésif  qu’elle dépose sur le bandage pour le fixer.

_ Tu te rends compte de la chance que l’on a ? Quelles étaient les probabilités pour que ça tombe sur ma maison ? C’est incroyable !

_ Pense plutôt à ta main. Tu devrais aller à l’hôpital pour te faire retirer ça.

_ Bof, ça pourra bien attendre demain. J’irai demain. Promis, juré ! Ah ! Ecoute ! Ça se calme… On n’entend presque plus rien. On va avoir plein d’échantillons ! On va se faire un catalogue une fois qu’on les aura photographiées. On les mettra en vente sur le Net et on gardera les plus belles pour nous.

Comme tout est redevenu calme, Mélanie et Josh s’aventurent avec précaution sur la terrasse, coiffés d’un casque de chantier blanc que Josh a sorti de son garage et découvrent avec joie la multitude de petites météorites qui recouvrent entièrement la bâche. Alors qu’ils s’avancent en direction de la pelouse, un grand boum retentit sur leur droite qui les fait sursauter. Des charbons de bois encore fumants et rouges ont été expulsés du braséro sur quelques mètres et la nappe sur la table de jardin commence à prendre feu. Josh attrape la nappe et la roule en boule avant de la jeter au sol et la piétiner.

_ Merde ! Manquerait plus qu’un incendie…

_ On devrait peut-être attendre un peu… D’autres morceaux peuvent encore tomber.

_ Rentre si tu veux, moi je veux savoir ce qui est tombé dans mon barbecue… Attends un peu… Avec la spatule… Oh mon Dieu ! Je suis béni !

_ Josh ? Pourquoi ? Il y a quoi là-dedans ?

_ Un pavé du ciel ! Rien que ça ! Un véritable pavé céleste ! Faut le refroidir… Merde ! Il a démoli ma cheminée et fissuré mon barbecue… Tant pis… Vais chercher une bassine d’eau et on pourra le sortir de là.

Mélanie suit des yeux son ami qui court jusqu’à la cuisine, la mine réjouie, il remplit une bassine d’eau au robinet et revient aussi vite qu’il le peut sans renverser d’eau.

Il vide la bassine sur les braises fumantes, ce qui provoque un énorme nuage de vapeur chargée de poussières noires.

Josh observe le résultat : C’est pas assez ! J’y retourne ! Et le voilà reparti en courant dans la cuisine pour à nouveau remplir sa bassine.

Après quatre inondations successives du barbecue, la température a suffisamment baissé pour qu’avec le gant de cuisine Josh puisse enfin attraper la météorite. Il siffle entre ses dents : Mazette ! Qu’elle est belle ! Et si grosse, et lourde avec ça ! Regarde un peu Mélanie, elle fait la taille d’un pamplemousse… Nous la laverons demain et nous la comparerons à celles qui sont déjà tombées à travers le monde. On saura si elle est rare ou pas.

_ D’accord. Mais tu feras ça après être passé à l’hôpital, n’est-ce pas ?

_ Je t’ai promis que j’irai et donc, j’irai. Ne t’en fais pas. Et sois sûre que quelle que soit sa valeur, cette météorite est à nous deux. Nous en partagerons les bénéfices. Ça aussi c’est une promesse.

_ C’est gentil. Allez, j’ai mon compte pour aujourd’hui. Je rentre chez moi.

_ Tu veux que je te ramène ? Il se fait tard… Une heure moins le quart ! Ou alors… Tu peux rester dormir dans la chambre d’amis. C’est comme tu veux.

_ C’est sympa de me proposer ça, mais je n’ai pas mes affaires. Une autre fois, mais il faudra le décider avant pour que je m’organise; tu comprends ?

_ Bien sûr ! C’est toi qui décide… Mais je suis ravi de t’entendre dire que ce sera possible, parce que…

Mélanie pose son index sur la bouche de Josh : Chut… Ne dis rien Josh. Je te souhaite une bonne nuit…

Et elle replace son panier sur le porte-bagages avant de repartir doucement dans la rue baignée par la lumière orange des lampadaires.

Josh reste sur sa terrasse jusqu’à ce que les grincements de la bicyclette ne soient plus audibles dans la nuit.

Il se lave à nouveau les mains et les avant bras après avoir rapatrié la bâche dans son salon et refermé la baie vitrée et il grimace quand ses doigts savonneux approchent de sa blessure. Il rajoute un peu de solution iodée par sécurité. Il décide d’aller se coucher. Il monte l’escalier, son gros morceau de météorite sous le bras…

 

 

Mélanie dort à poings fermés, heureuse de la tournure que prend sa relation avec Josh. Sa solitude lui pèse depuis si longtemps. Depuis que… Et il aura fallu cette pluie de météorites pour que Josh se décide enfin. Est-ce un signe du ciel ? Elle dort et un rêve arrive à sa conscience : Bernard lui apparaît. Son cœur commence à accélérer car elle culpabilise. Mais Bernard lui fait un petit signe et arbore un grand sourire. Tout en dormant, Mélanie lâche un grand soupir et se réveille en sursaut à cause de la sonnerie de son portable. Elle allume la lampe de chevet et attrape son réveil électronique pour le regarder de plus près : Cinq heures !

Elle attrape son téléphone qui a cessé de sonner et le déverrouille. Un appel manqué : Josh.

Mélanie s’assoit dans son lit et sourit : Incorrigible Josh ! Il doit m’appeler au sujet de la météorite. A tous les coups, il l’a déjà comparée aux autres sur le Net. Il n’a pas dû beaucoup dormir de la nuit. Il doit être excité comme une puce à l’idée d’avoir fait une importante découverte.

Elle appuie sur le bouton de rappel et colle son portable à son oreille. Une sonnerie, deux sonneries, trois sonneries et c’est le répondeur qui prend le relai. Zut ! Il a dû partir prendre une douche… Je le rappellerai tout à l’heure, ou il me rappellera.

Mélanie se rallonge en espérant rapidement retrouver le sommeil quand le portable sonne à nouveau. Elle l’attrape aussitôt et répond : Josh ? Tu es matinal, dis donc…

_ M.. Mélanie… Au secours… Ma main… Viens vite…

Mélanie entend comme un bruit de chute et puis plus rien. La communication n’a pas été coupée mais Josh ne parle plus.

_ Josh ? Josh ? Réponds !

Elle saute hors de son lit et s’habille à la hâte. Elle enfourche sa bicyclette et pédale comme pour un sprint jusqu’à la maison de son ami. La baie vitrée n’est pas verrouillée. Elle entre. Aucun bruit dans la maison, sinon le tic-tac de l’horloge fixée au mur du salon.

_ Josh ? Tu es là ? Josh ?

Il lui semble entendre un léger gémissement provenir de l’étage. Elle grimpe les marches quatre par quatre et ouvre toutes les portes dans le couloir et finit par trouver la chambre de Josh. Son ami gît sur le ventre au sol près de son lit. Il semble animé de spasmes et sa main blessée a triplé de volume.

_ Mon Dieu ! Josh ! Qu’est-ce qui t’arrive ? Ta main… elle est toute enflée…

Josh a les yeux révulsés. Elle passe la main sur son front : il est brûlant de fièvre.

Mélanie court jusqu’à la salle de bains et passe une serviette éponge sous l’eau froide, l’essore un peu et revient près de son ami pour lui poser la serviette trempée sur le front.

Josh réagit un peu et ouvre les yeux.

_ M…Mélanie… Ma main…

_ Oui. Elle est enflée Josh.

_ Dedans…  Ça bouge dedans…

_ Comment ça ?

_ Il… Il y a des…

Josh sombre à nouveau; ses yeux se révulsent et son corps tout entier s’anime de spasmes violents.

Mélanie appelle les secours en composant le 15

_ Ici le centre 15, les urgences du SAMU, que puis-je pour vous ?

_ C’est affreux ! Mon ami a été blessé à la main par une météorite hier soir et ce matin sa main est devenue énorme et il est brûlant de fièvre. Il a perdu connaissance.

_ Une météorite dites-vous ?

_ Oui. Il en est tombé plein cette nuit. Vous n’êtes pas au courant ?

_ Non. Et c’est la première fois que j’entends parler d’une blessure par météorite. Et vous, savez-vous qu’appeler le SAMU pour faire une blague est punissable par la Loi ?

_ Mais ce n’est pas une blague ! Envoyez-moi une ambulance, vite !

La standardiste a coupé la communication et Mélanie reste un moment interdite, devant son téléphone qui émet des bips rapprochés.

Elle part en trombe et redescend au rez-de-chaussée. Elle récupère la bassine  de Josh et la remplit d’un quart d’eau de javel et d’eau tiède jusqu’à sa moitié. Elle remonte ensuite et dépose la bassine près de Josh et plonge la main œdémateuse dans le liquide; en espérant que la javel provoquera quelque chose.

Josh est secoué par un spasme bien plus violent que les autres et sa main sort de la bassine pour s’abattre à plat sur le plancher en chêne.

Il se produit comme un bruit visqueux, mou et un liquide jaune tirant sur le vert forme une nappe qui grossit sous la main de son ami. en même temps, une puanteur terrible agresse ses narines au point qu’elle éprouve un haut le cœur et, si elle avait pris un petit déjeuner avant ça, elle aurait sûrement tout vomi. Elle se redresse par réflexe pour tenter d’échapper à cette odeur épouvantable et, au moment où elle pense que l’abcès de la main a éclaté et qu’elle ferait bien de la replonger dans la bassine, l’horreur se produit…

Une dizaine de petits vers étranges, irisés bleu métal commencent à apparaître entre les doigts de Josh. Ils avancent par étape, ils reptent comme s’ils progressaient avec précaution en terrain inconnu. Ils font à peine quelques millimètres de long et parcourent quelques centimètres. Ils s’arrêtent, se regroupent et se font face; l’un d’entre eux semble se gonfler et son enveloppe se déchire pour libérer un curieux insecte bleu irisé. Il déploie ses élytres, décolle un peu et rejoint le groupe de vers. Au bout de quelques secondes, l’ensemble  se replie en vitesse sous la main de Josh.

Ce qui se passe ensuite provoque la panique chez Mélanie; la main recommence à gonfler et la peau semble animée de petits mouvements ondulatoires qui commencent à remonter vers le poignet et gagnent l’avant-bras de Josh toujours inconscient.

Mélanie n’en croit pas ses yeux et se demande si elle n’a pas imaginé ça. Avec précaution, elle soulève la main de Josh et la plonge dans l’eau javellisée en la maintenant au fond de la bassine. Les mouvements sous la peau s’accélèrent et s’amplifient; ça semble grouiller sous la peau de l’avant-bras.

Elle défait de sa main libre la ceinture de son pantalon et la pose en garrot au-dessus du coude de Josh, pensant ainsi empêcher la progression de ces satanées bestioles. Cela semble fonctionner. Elle profite de ce répit pour rappeler les urgences : Allo ? Pour l’amour de Dieu, envoyez-moi une ambulance ! Mon ami va mourir si personne ne fait rien. Son corps est infesté par des parasites; c’est parti de sa main et ça remonte le long de son bras. J’ai posé un garrot, mais…

_ Attendez un peu, vous êtes la femme qui a appelé pour des météorites ! C’est vous qui avez besoin de soins !

_ Je vous en supplie ! Ne raccrochez pas, ne raccrochez paaaas !

La communication a été coupée. La détresse et le désespoir envahissent Mélanie.

Au moins, pense-t-elle, ces saloperies sont bloquées… Mais rapidement, la peau du bras de Josh se met à onduler au-dessus du garrot. Elle se relève et fonce pour redescendre à la cuisine. Elle ouvre tous les tiroirs et finit par trouver ce qu’elle cherche et elle remonte l’escalier à toute vitesse, un grand couteau de boucher dans une main et un tranchet dans l’autre.

Elle s’agenouille près de Josh et déplace le garrot plus haut, sous l’épaule. Elle écarte le bras qui semble être animé d’une vie intérieure intense et lève le tranchet au-dessus de sa tête avant de frapper pour couper le bras de son ami.

A ce moment précis, une image lui revient à l’esprit; le souvenir de son mari dans son lit d’hôpital juste après son amputation du genou.

 

Dès que ça avait été possible, après l’opération, elle était entrée dans sa chambre et quand il l’avait aperçue, il avait réussi à lui offrir un triste sourire pour tenter de la rassurer. Ses joues étaient creusées et son teint était très pâle. Malgré la toilette et le rasage, son visage en disait long sur son état.

Elle avait réussi à refouler la vague de tristesse et de désespoir mêlés d’angoisse qui montait en elle comme un tsunami. La vision de son mari dans cet état là, si diminué et paraissant si petit dans ce grand lit blanc l’avait choquée. Le drap et la couverture étaient surélevés en bas du lit et reposaient sur un arceau qui avait été posé pour protéger le moignon de leur poids. L’apparence de son mari l’avait comme déchirée à l’intérieur; mais elle avait réussi à contenir ses émotions pour un temps. Ne voulant pas rajouter de la peine aux malheurs de Bernard.

Mélanie avait fini par éclater en sanglots dans le hall d’accueil de l’hôpital alors qu’elle se dirigeait vers la sortie.

La douleur était si intense qu’elle avait dû s’asseoir sur un banc car ses jambes ne la supportaient plus et son corps tout entier subissait des spasmes.

Elle pleurait toutes les larmes de son corps et tenait sa tête entre ses mains quand une voix douce et masculine lui avait demandé ce qui lui arrivait, pourquoi elle pleurait. Elle avait réussi à répondre entre deux sanglots que son mari était au plus mal et qu’elle craignait le pire pour lui.

L’homme lui avait prodigué des mots de réconfort et d’espoir, il lui avait parlé d’épreuves dans l’existence, de Foi.

Mélanie avait alors relevé la tête et compris que l’homme assis près d’elle était prêtre; probablement l’aumônier de l’hôpital. Elle avait simplement répondu par un merci et s’était relevée pour sortir au plus vite de l’établissement.

Une fois assise dans sa voiture au milieu de l’immense parking de l’hôpital, les sanglots avaient repris de plus belle, remontant par vagues successives à chaque fois qu’apparaissait l’image de son mari et de son sourire si pâle et triste qu’il s’était efforcé de produire pour elle, pour la rassurer, la protéger. C’était une preuve d’amour qu’il lui tendait du fond de son lit de douleur. Malgré son amputation et ce que ça devait avoir comme retentissement sur lui. En comprenant cela, une vague bien plus grosse que les autres était montée brutalement à la surface et elle s’était alors mise à hurler dans sa voiture, en tapant de ses poings sur le tableau de bord jusqu’à ce qu’elle n’en puisse plus. Elle n’y voyait plus rien et ne pouvait plus penser à rien. Son esprit ne voyait que Bernard lui tendant la seule chose qu’il avait à lui offrir : son sourire.

En se redressant, Mélanie avait repris une profonde inspiration et son poing allait s’abattre pour la dernière fois; mais comme elle venait de changer de position, il s’était abattu sur le volant et avait déclenché le klaxon. Et ce bruit de klaxon avait été comme un électrochoc qui lui avait fait reprendre ses esprits. Elle était dans sa voiture, au milieu du parking à hurler et à frapper comme une folle. Bernard méritait mieux de sa part, il le lui avait prouvé quelques minutes plus tôt et elle devait se montrer à la hauteur. Ils allaient surmonter ça ensemble comme ils avaient surmonté tant d’autres difficultés auparavant. Ils s’en sortiraient…

Sauf que six mois après l’amputation, les résultats n’étaient pas bons. Pas bons du tout. La maladie avait progressé dans tous ses organes et les médecins leur avaient fait comprendre que le temps lui était compté. L’amputation ne l’avait pas sauvé.

 

 

Mélanie baisse les bras et repose le tranchet au sol, près d’elle. De larmes coulent le long de ses joues. Josh ! Oh, Josh ! Comme je suis désolée… Je ne peux pas faire ça… J’ai essayé mais je ne peux pas. Pardonne-moi Josh… Pardonne-moi mon ami…

Mélanie reste assise en tailleurs et assiste à la progression des ondulations de plus en plus nombreuses et de plus en plus rapides sous la peau de Josh. Tout le corps de son ami semble frémir, vibrer.

Au bout de quelques minutes, le corps de Josh semble s’apaiser et plus aucun mouvement sous l’épiderme n’est à signaler. Josh semble dormir en paix. Mélanie pose deux doigts sur le cou de son ami, à la recherche du pouls, en vain. Josh n’est plus.

Tout en pleurant, elle se relève et s’apprête à quitter la pièce quand un bras se soulève et retombe. Puis l’autre et vient le tour des jambes qui se replient et se rallongent brutalement. Le corps de Josh repose sur le dos. Mélanie se déplace pour lui faire face, dos au mur et avec un grand effroi, elle voit le torse de Josh se redresser et ses bras reculer pour poser les paumes au sol. Josh est assis, les jambes tendues. Sa tête remue de gauche à droite puis de bas en haut. Les paupières sont closes.

Mélanie s’approche un peu de lui quand le visage de Josh se tend vers elle. Elle se déplace alors vers la gauche et Josh suit le mouvement en tournant la tête.

_ Josh ? Tu es là ? Tu m’entends ?

Pas de réponse. Les paupières de Josh s’écartent et ce qu’elles dévoilent provoque un cri de terreur chez Mélanie. Les yeux de Josh sont devenus horribles; tout le globe est strié de vert et de noir. Les yeux de Josh restent fixés sur elle.

Mélanie, toujours dos au mur commence à se déplacer vers sa droite, doucement, pour se rapprocher de la porte, pour fuir ce qu’est devenu son ami. Mais alors qu’il ne lui reste plus que quelques pas pour franchir le seuil, Josh se relève et coasse un « Maaéhahie »…

Elle se fige, épouvantée et Josh se rapproche un peu d’elle : Mehanhie… Mélanie… Reste… Pars pas…

_ Josh ? C’est toujours toi ?

Josh ne répond pas; il semble se plier un peu et Mélanie croit qu’il est en proie à une douleur jusqu’à ce qu’il se détende comme un ressort et s’abatte sur elle en plantant ses dents dans son cou si profondément qu’elle n’arrive pas à se dégager malgré tous ses efforts. Elle se débat, frappe de toutes ses forces mais Josh ne lâche pas prise.

Malgré tous ses efforts pour se défaire de cette étreinte atroce et douloureuse, elle sent ses forces diminuer au fur et à mesure que le sang s’écoule de sa blessure. Avant de perdre conscience, elle sent ces petites choses qui entrent en elle à travers la plaie; une multitude grouillante et affamée qui se fraie un chemin à travers ses tissus, sa chair. Ce n’est pas douloureux; c’est gênant, c’est comme des…

 

 

C’est ainsi que le phénomène zombie a débuté pour se propager comme une traînée de poudre à travers le monde. Tout est parti de là. C’est le point zéro. Un rêve qui s’est transformé en un véritable cauchemar !