LE SECRET DU GRAND CANYON

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Le secret du grand Canyon.

 

Ecrit par Ludovic Coué le 02 février 2023

 

 

 

 

Dans sa chambre d’hôtel du Hyatt à Phoenix, le professeur John Cooper, archéologue de son état hésite encore devant le grand miroir de la penderie : cravate ou pas de cravate ? Que lui aurait dit Mary ? se demande-t-il. Sans doute quelque chose de désagréable du genre : à ton âge, c’est tout de même malheureux que tu en sois encore à demander de l’aide pour ta tenue vestimentaire… Connasse ! Que Dieu bénisse le divorce et la liberté retrouvée des hommes mal mariés ! Finalement, il irait en tenue décontractée. Après tout, il ne s’agit pas d’une annonce exceptionnelle. C’est donc en jean, chemise, pull et blouson que John sort de sa chambre pour se rendre à la salle de conférence.

Il pense que son intervention ne devrait pas intéresser grand monde et que le vieux Sam a eu raison de décliner son invitation. Le bougre n’aime pas beaucoup se retrouver parmi la foule et il exècre les villes. Il préfère rester chez lui, loin du monde, avec ses deux chiens. L’annonce de la conférence n’a été faite que sur Twitter trois jours plus tôt et il n’est toujours pas certain que ce soit une bonne idée…

 

En longeant le couloir menant à la salle de conférence, John repense à sa vie d’avant, avec Mary qui avait tenu jusqu’au mariage pour cacher sa vraie nature. Ensuite, la vie conjugale était devenue un véritable enfer.

Le brouhaha qui filtre à travers les énormes portes battantes de la grande salle du Hayatt le tire hors de ses pensées  douloureuses. Il y a apparemment plus d’auditeurs qu’il ne l’espérait… Sa réaction première est de stopper net sur la moquette beige et il s’imagine un instant tourner les talons et s’enfuir en courant, mais quand une jeune serveuse sort de la salle, une thermos dans chaque main en soufflant sur la mèche de cheveux qui lui tombe sur le nez et lui adresse un grand sourire tout en lui tenant la porte ouverte du coude, il ne peut que poursuivre et entrer.

La salle est comble. Tous les gradins sont remplis et des personnes sont même debout. Désagréable impression d’être un gladiateur qui pénètre dans l’arène seul face à la foule. Merde ! Sam aurait quand même pu faire un effort et m’accompagner ; ne serait-ce que pour me soutenir pense-t-il.

 

John monte sur l’estrade, le pas pesant, tâchant d’afficher une mine sympathique pour tous ces yeux maintenant rivés sur lui. Le brouhaha s’estompe rapidement pour laisser la place à quelques chuchotements. Il se positionne devant le lutrin, ajuste le micro et, comme à la répétition de la veille, un jeune homme tapi dans l’ombre, derrière un rideau épais, lance le PowerPoint à partir de son PC pour l’afficher sur le grand écran blanc via le rétroprojecteur.

 

« Mesdames et Messieurs, je vous remercie d’être venus aussi nombreux, je ne m’attendais pas à une telle affluence et je suis heureux de vous présenter les résultats de mes dernières fouilles. J’imagine que vous attendez tous que je vous dévoile une découverte extraordinaire, eh bien, je crains de vous décevoir… »

Les mines dans l’assemblée s’assombrissent.

« Lors de ma dernière conférence, j’ai fait part de mon projet d’exploration de “la grotte des anciens“. En effet, toutes les tribus Amérindiennes, les Navajos, les Kaibab, les Hualapai et les Havasupai relatent la même histoire : il y a très longtemps, quand les Dieux descendus du ciel marchaient parmi les hommes, ils occupaient un endroit qu’ils avaient creusé dans la paroi du grand canyon. L’endroit leur est connu et il leur est interdit d’y pénétrer. Accompagné de mon ami Sam Young, nous avons suivi leurs indications et avons effectivement trouvé une grotte ; du moins une excavation assez grande. Mais comme vous pouvez le voir maintenant sur l’écran, les artefacts qui jonchaient le sol sont quasiment les mêmes que ceux déterrés dans les tombes amérindiennes datant d’à peu près mille ans. Des poteries, quelques bijoux, des restes de charbon et des morceaux de cuir et de tissu. Alors, à tous ceux qui espéraient des traces, voire des artéfacts d’une civilisation antédiluvienne dotée d’une haute technologie, je suis désolé de finalement convenir que ces histoires transmises oralement de génération en génération par les membres des tribus ne sont probablement que des mythes, des légendes et rien de plus.  Les échantillons prélevés seront analysés au carbone 14 pour datation et je rédigerai un article dès que j’aurai les résultats.»

 

Malgré la lumière dirigée sur lui, John se rend compte que la salle a déjà commencé à se vider. Le professeur remarque au premier rang une jeune femme d’une trentaine de printemps à peine qui prend des photos à partir de son portable. Elle griffonne sur un carnet et, contrairement aux autres auditeurs, elle ne semble pas affectée par sa déclaration. Elle porte des lunettes larges aux montures fines, juste sous une frange qui couvre son front. Ses cheveux bruns sont rabattus vers l’arrière et noués pour former une queue de cheval. Sa tenue est sobre et élégante : pantalon, veste noirs et chemisier bleu. Elle ne porte pas de bijoux. John pense qu’elle sort du lot parmi tous ces gens qui comptent pas mal d’illuminés, de chasseurs d’OVNI et autres joyeusetés délirantes et qui n’ont fait aucun effort vestimentaire pour l’occasion. Le professeur poursuit en commentant les diapositives qui se succèdent sur le grand écran mural. Vingt minutes plus tard, arrivé au bout de son propos, il demande par principe s’il y a des questions. La jeune femme du premier rang lève alors la main et un jeune homme – un stagiaire probablement – lui apporte un micro.

« Professeur, d’après vos déclarations, vous n’avez rien trouvé dans cette grotte. Alors pourquoi y êtes-vous resté dix jours ? » Comme il s’attendait à cette question, sans se montrer le moins du monde embarrassé, il répond : «Avec Sam, nous avions emporté de quoi tenir dix jours. Alors, comme nous n’avions rien trouvé dans la grotte, nous sommes restés pour inspecter les environs et éventuellement découvrir une autre caverne plus intéressante. Au bout de dix jours de recherches vaines, comme nous n’avions rien découvert, nous sommes rentrés. »

La jeune femme tapote son stylo sur ses dents d’un blanc éclatant en hochant doucement la tête et finit par lui adresser l’esquisse d’un sourire tout en rendant le micro au jeune stagiaire qui le lui avait remis.

« D’autres questions ? » demande John. Non. Personne ne veut en savoir plus. La salle se vide lentement et probablement que tout ce beau monde a trouvé une compensation ou une nouvelle motivation et se dirige en pressant le pas vers le buffet organisé pour l’occasion. Ils se sont tous levés à l’exception de la jeune femme qui reste assise et relit ses notes. John rassemble ses documents et fait quelques pas sur l’estrade en direction de la sortie quand elle le hèle : « Professeur ?

— Oui ?

— Permettez-moi de vous donner ma carte, s’il vous plaît.

— Oh ! Pourquoi donc ?

— Parce que je ne crois pas un seul mot de ce que vous nous avez dit et que nous sommes appelés à nous revoir très bientôt. » Ceci étant dit, elle lui dépose une carte sur ses documents et tourne les talons pour sortir à son tour.

 

Le professeur reste un moment interdit les sourcils froncés. Il se demande si cette femme ne va pas lui causer des ennuis. Une folle ? Ou juste une emmerdeuse qui ne supporte pas que les choses ne soient pas comme elle voudrait qu’elles soient ? Sur le carton, il y est écrit Beverly Chase dans une police délicate et fine et dessous son adresse mail suivie d’une URL éponyme, et encore dessous, ajouté au stylo son numéro de mobile.

John glisse le carton dans la poche de sa veste et décide de rentrer chez lui. Avec la direction de l’hôtel, il a été convenu  que la facture de la location de la salle et celle du buffet lui seraient adressées par mail. Il enverra un chèque. Ce genre d’arrangement n’est possible que si le directeur vous connaît et que vous êtes un habitué de l’endroit. Mais il faut bien avouer que le COVID est passé par là aussi et que les gens ont encore du mal à reprendre leur vie d’avant. En contemplant le parking clairsemé, John se dit que sa conférence fait figure d’aubaine pour le gérant et que ça fait bien longtemps qu’il n’a pas vu autant de voitures garées devant son établissement.

Il décide de rentrer chez lui et de reprendre une vie normale. En marchant en direction de son Pick-up, il sort son mobile et appelle Sam.

— Ouais ? Alors ?

— C’est fait.

— Ils ont dû être déçus, non ?

— Très déçus.

— Pas de problème alors ?

— Non. Mis à part une certaine Beverly Chase qui n’a pas cru un mot de notre histoire.

— Merde !

— Elle m’a donné sa carte. Je vais la photographier et te l’envoyer par MMS, va sur son site et rappelle-moi. Je vais prendre la route pour rentrer… non, finalement, je vais chez toi pour qu’on en parle. »

 

John a fixé son mobile sur la grille d’aération et activé le Bluetooth afin de pouvoir répondre sans lâcher le volant.

Après quelques kilomètres sur une route à peine fréquentée, la chanson des Stones « Sympathy for the devil » avec ses hou-hou ! S’arrête brutalement et c’est la voix de Sam qui remplace celle de Mick Jaegger : John ? On a peut-être un problème…

— Raconte.

— Chase est une journaliste d’investigation indépendante. Son site est consacré à tout ce qui relève du paranormal.

— Merde ! Une illuminée ? Elle n’en avait pas l’air.

— Oh non ! En fait, elle taille des croupières dans toutes les théories fumeuses et dénonce ceux qui les soutiennent. Elle les tourne en ridicule. Et quand tu lis les commentaires liés à ses articles, tu comprends qu’elle ne s’est pas fait que des amis. Ils la traitent de tous les noms et lui promettent le pire. Il faut dire qu’elle ne prend pas de gants et qu’elle leur oppose une logique implacable. Elle est douée.

— Pourquoi prend-elle autant de risques avec ces illuminés ? Elle se met en danger, non ?

— Je pense qu’elle utilise un pseudo. Chase ne doit pas être son vrai nom. D’ailleurs, il n’y a aucune photo d’elle sur le site. J’imagine qu’elle l’a blindé pour que personne ne puisse la retrouver. Une maline !

— Mouais… Pourquoi s’intéresse-t-elle à nous alors ? Puisque je n’ai rien annoncé de spectaculaire.

— Sais pas.

— Ok Sam. J’arrive dans deux heures.

— Ok. Tiens, pendant que je te tiens, arrête-toi quelque part et prends-moi des piles AA, je n’en ai plus pour les lampes et si tu peux trouver un os à moelle pour chacun de mes trésors. Ils vont être contents de te revoir. Allez, je raccroche. »

John s’arrête au Cardenas Market à Flagstaff. Il n’y a pas grand monde à l’intérieur et ça l’arrange car l’idée de faire la queue à la caisse l’exaspère. C’est fou ce que les petites choses qu’on supportait facilement avant le COVID apparaissent maintenant comme des problèmes. Il fait l’emplette des piles, de deux gros os à moelle et d’une bonne bouteille de vin français. Alors qu’il pense se diriger vers les caisses, il se ravise et retourne rapidement au rayon boucherie pour choisir une énorme côte de bœuf. Satisfait, il règle ses achats avec sa carte bancaire et repart en direction de la propriété de Sam.

 

 

Betty Wayne, alias Beverly Chase conduit sa petite Ford sur la piste de Sam Young. Elle a prudemment suivi Cooper depuis Phoenix mais l’a perdu dans Flagstaff au détour d’un virage quand elle a dû s’arrêter à un feu rouge. Elle a rapidement repris sa route et accéléré et a fini par accepter l’évidence. Andouille ! Peut-être avait-il bifurqué juste après le virage ? Avait-il fait une halte dans un commerce ? De toute façon, il est déjà trop tard. À moins qu’elle puisse le retrouver en rebroussant chemin. Nul n’est à l’abri d’un coup de bol, n’est-ce pas ? Dès qu’elle le peut, elle manœuvre pour repartir en sens inverse et aperçoit l’enseigne du Cardenas Market un peu plus loin sur sa gauche. Elle ralentit et bingo ! Le Pick-up apparaît à la sortie du parking, son clignotant indique qu’il prend à droite. Elle ralentit encore, le laisse sortir et fait à nouveau demi-tour au feu tricolore. Elle ne lâche plus Cooper du regard tout en gardant une distance suffisante.

 

 

Sam Young est un vétéran de l’armée, des Marines et les forces spéciales.

Quand il a pris sa retraite, il s’est installé à Phoenix avec sa femme Marge et pensait couler une retraite heureuse dans son pavillon agrémenté de son carré de pelouse – barbecues – voyages à Hawaii et ailleurs dans le monde – bénévolat et probablement un peu de sport pour s’entretenir. Mais parfois, les belles histoires finissent mal. Alors qu’il avait fini de bourlinguer sur les théâtres d’opérations, d’une base à l’autre et que Marge pouvait enfin se poser, un méchant cancer était venu s’attaquer à son pancréas. Quand il avait demandé aux médecins de l’hôpital si on pouvait la guérir, on lui avait fait comprendre que sa femme n’en avait plus pour très longtemps. Quatre mois en fait. Elle n’a pas beaucoup souffert, physiquement du moins, parce qu’elle se rendait bien compte de l’échéance qui se rapprochait inexorablement, malgré la morphine et ces moments de pseudo béatitude ou d’hébétude qui l’occupaient pendant quelques heures dans la maison devenue silencieuse. Jusqu’à la prochaine injection dans la tubulure de la perfusion.

Sam n’avait pas voulu qu’elle termine ses jours à l’hôpital. Elle méritait mieux que ça. Elle qui l’avait toujours suivi, soutenu sans se plaindre et qui avait accepté de ne pas pouvoir avoir d’enfant. Non, elle resterait dans sa maison et il s’occuperait d’elle jusqu’au bout, jusqu’à la fin.

Quand Sam est revenu des obsèques de Marge, il est rentré dans sa maison, s’est assis dans son fauteuil devant le grand écran plat éteint. Il a regardé autour de lui et a remarqué toutes ces choses reliées à sa femme : les petits tableaux qu’elle peignait admirablement, les pêlemêles fixés au mur du salon et les bouquets de fleurs qui commençaient à péricliter eux aussi. Sam a alors pleuré. Pleuré comme un enfant, recroquevillé en position fœtale sur le tapis. Secoué par des spasmes douloureux jusqu’à en perdre connaissance.

En reprenant ses esprits, il a songé qu’il n’était peut-être pas trop tard pour rejoindre Marge et faire le voyage ensemble vers l’au-delà. Il s’est relevé et a marché à pas lourds jusqu’à leur chambre. Il a ensuite ouvert le tiroir de sa table de nuit. La lumière du jour a fait briller d’un bel éclat le Smith&Wesson chargé. Il a passé ses doigts dessus dans un semblant de caresse et alors qu’il allait saisir l’arme pour mettre fin à ses jours, il a subitement poussé un juron et refermé le tiroir d’un coup sec. Il venait de repenser à toutes les fois où on lui avait tiré dessus et s’en était sorti malgré ses blessures et il a décidé qu’il n’avait pas survécu durant toutes ces années pour finalement se tirer une balle dans la tempe.

Le lendemain, la maison était mise en vente et il achetait une propriété dans le désert, aux environs de Flagstaff et du grand canyon à Hackberry. Il y vit seul maintenant, accompagné de ses deux Rottweilers qui ne le quittent pas d’une semelle.

 

Au volant de son Dodge, Cooper se dirige vers Hackberry dans le comté de Mohave. Le soir commence à tomber et il ne va pas faire chaud étant donné le beau ciel étoilé qui commence à scintiller. Il a allumé ses phares et la route n’est pas très fréquentée, hormis une petite citadine derrière lui. Les Stones chantent maintenant « Have merci », un vieux tube indémodable. Il roule ainsi jusqu’à Kingman et quitte la route en direction de Hackberry, sur une route plus petite, la soixante six. La citadine poursuit son chemin sur la quarante. La nuit tombe.

 

Betty Wayne a vu le Dodge de Cooper quitter la route pour bifurquer à droite. Le panneau indique Hackberry. Elle se dit que Sam ne doit pas habiter loin d’ici. Elle poursuit sur la quarante durant deux cent mètres et se range sur le bas côté avant de faire demi-tour. Et emprunter la soixante six à son tour.

Il a beau faire nuit, le general store est encore ouvert. Betty se gare à proximité et entre dans le magasin. À l’intérieur, il n’y a que le caissier qui porte un badge au nom de Dave. Un grand type maigre dans la trentaine  au visage grêlé. Vive la puberté et son pack d’acné ! Elle s’approche de lui et lui demande avec un large sourire : « Connaissez-vous Sam young ?

— Oh ! Le vieux Sam ? Oui. C’est mon meilleur client.

— Je dois le rencontrer. Pouvez-vous m’indiquer où il habite ?

— Je vous déconseille d’aller là-bas.

— Et pourquoi donc ?

— Sam n’aime pas les gens. D’ailleurs, je suis le seul à être autorisé à me rendre chez lui. Il ne veut voir personne d’autre. Et il a la gâchette facile, sans parler de ses deux monstres.

— Deux monstres ?

— Ouais. Deux Rottweilers énormes qui le protègent et mourraient pour lui. Ils gardent la propriété de Sam. Ils lui obéissent au doigt et à l’œil, faut voir ça… C’est bien simple, quand je vais lui livrer ses courses chaque semaine, je ne descends pas de la camionnette. Je klaxonne jusqu’à ce que Sam sorte de sa baraque et siffle les chiens. Alors ils disparaissent.

— Il reçoit pourtant de la visite, non ? John Cooper, ça vous dit quelque chose ?

— Ouais. C’est le professeur en archéologie. Un chic type. À chaque fois qu’il vient par ici, il passe par la boutique. Heureusement qu’il reste des gens comme eux pour faire vivre mon commerce… Saleté de COVID ! On n’a presque plus de touristes depuis la pandémie.

— Oui. Pas facile de surmonter cette crise. Alors, je le trouve comment ce Sam ?

— Remplissez un caddie et je vous renseignerai. »

Betty reste interdite un instant et pense avoir mal compris. « Pardon ?

— Vous m’avez bien compris. J’essaie de surmonter la crise alors, si vous voulez savoir où perche le vieux Sam, vous remplissez un caddie… S’il vous plaît. »

Furieuse, Betty attrape un chariot et fait le tour des gondoles en attrapant ci et là ce qui pourra lui servir. De retour à la caisse, elle toise le caissier : « C’est assez rempli comme ça ?

— C’est parfait ma petite dame. Déposez vos articles sur le tapis. »

Elle règle avec sa carte Mastercard que le caissier lui rend sans oublier de jeter un œil dessus. « Voilà madame Wayne, votre carte et votre ticket. Pour Sam, continuez la route sur deux kilomètres vers le Nord et vous apercevrez sa propriété. Ce sera probablement éclairé. Et faites gaffe, je vous ai prévenue. Et merci de vous être arrêtée au general store !»

 

Betty ressort du magasin folle de rage, ses sacs dans les bras et dépose ses achats dans le coffre de sa Ford. Au moment où elle repart en direction du Nord, le caissier décroche son téléphone.  « Allo… Sam ? Vous avez de la visite. Une certaine Betty Wayne. Taille moyenne, brune, lunettes et propre sur elle. Elle conduit une petite Ford. De rien Sam.  À bientôt. »

 

 

En arrivant dans la propriété de Sam, Cooper passe en mode plein phares pour repérer les chiens et ne pas les heurter. C’est alors qu’il se gare  près de la maison que les deux Rottweilers accourent et se redressent sur leurs pattes arrière pour voir qui est dans le véhicule. Sam allume le plafonnier et les chiens se mettent à aboyer joyeusement tout en se dandinant. « Salut les affreux ! Devinez un peu ce que je vous apporte ? Un bon gros nonos plein de moelle ! » Il sort du véhicule et peine à accéder à l’arrière tellement les chiens se frottent contre ses jambes en couinant pour réclamer des caresses et quelques gratouillis qu’ils affectionnent tant. La porte de la maison s’ouvre et Sam sort sur son perron en bois. Il émet un sifflement et les deux animaux s’arrêtent net pour s’assoir, haletants. On dirait qu’ils sourient. Ils ne quittent pas John du regard. Leurs yeux semblent rouler d’impatience et leur petite queue bat à haute fréquence. « Ils t’ont repéré avant que tu ne franchisses l’entrée du domaine. Ils étaient excités comme des puces ! Ils savent que tu leur apportes quelque chose de bon, John. Et je parie qu’ils savent ce que c’est.

— Ils ont probablement senti la grosse côte de bœuf que j’ai là.

— Oh ! C’est la fête ce soir ? Je vais allumer le barbecue alors. Donne-leur les os pour qu’ils nous fichent la paix. Ta côte de bœuf les intéresse bien moins, tu peux me croire… »

Cooper prend un os dans chaque main et les chiens redressent la tête, droits comme des piquets. Il lance les os en l’air et les Rottweilers sautent pour les attraper en l’air, puis ils disparaissent dans l’obscurité pour se régaler en toute tranquillité.

Les bras chargés de la caisse en plastique et la glacière qui contiennent ses achats récents, John entre dans la maison et dépose son fardeau sur la table de la cuisine. Sam s’affaire de son côté autour de son barbecue en dur. Il a déjà disposé du bois sec qu’il asperge d’un liquide inflammable et commence à disposer dessus des morceaux de charbon de bois. Quand il jette son allumette, un Wouff ! se fait entendre et le charbon commence à crépiter. Il rentre dans la cuisine où l’attend John. « Chouette ! Tu as pensé à mes piles… Waow, C’est une côte de bœuf ou une côte d’éléphant ? Tu as trouvé ça où ?

— Cardenas Market à Flagstaff.

— Tu me diras combien je te dois.

— Une bière fraîche me remboursera.

— Comme tu veux. Tu devrais venir plus souvent… » Sam a dit ça en souriant et en se tapotant le ventre. « Allons nous asseoir dans le salon, le temps que le feu soit prêt. »

John suit Sam et s’attarde un instant sur la photo posée sur le rebord de la cheminée, sous une magnifique Winchester. Un portrait de Marge souriante et heureuse. Sur la photo, elle porte un chapeau de paille tressée orné d’un ruban bleu. Sam s’assoit dans son fauteuil et voit son ami regarder la photo. « Elle me manque John. Elle me manque tous les jours. »

John vient s’assoir sur le petit divan deux places face à Sam. « Je sais Sam, je sais. » Il imagine que son ami repense aux jours heureux, mais en fait, Sam se revoit caresser le Smith&Wesson qui était dans la table de nuit, après l’enterrement de Marge. Cette tentation d’en finir et de rejoindre sa femme. Qu’avait-il ressenti finalement ? Du courage ou de la peur ? Il prend une grande inspiration et lève sa bouteille de bière devant John. « A la nôtre ! »

John fait de même « Santé ! ».

Ils en sont à la moitié de leur bière quand le téléphone sonne. Sam se lève rapidement et décroche. « Ouais, ok, ok. Merci Dave. » Puis il raccroche en se massant le menton. Il revient au salon et décroche la Winchester. « Ta copine journaliste, Beverly se pointe ici.

— Et tu vas la recevoir en lui tirant dessus ?

— Elle n’est pas chargée ! C’est pour m’amuser un peu, regarde. » Et il actionne le levier à plusieurs reprises sans qu’aucune balle ne soit éjectée. Quelques minutes plus tard, les deux chiens émettent un seul aboiement. Sam sourit « Ils sont sur sa piste, partis à sa rencontre.

— Et ?

— Rien. Ce sont des gentils. Tant que je ne donne pas l’ordre, ils n’attaquent pas. Mais ils impressionnent et Chase va en avoir pour son argent. Finalement, ta côte de bœuf va être découpée en trois parts je le crains…

— Elle est peut-être VEGAN ?

— Oh misère ! Alors elle mangera des cailloux ! »

 

 

Betty, dans sa Ford suit la route ou plutôt la piste en direction du Nord et passe sous un porche en bois. Elle ralentit et scrute devant elle. Un peu plus loin, elle aperçoit de la lumière. Elle continue d’avancer et remarque le Dodge de Cooper. Elle se gare juste à côté. En descendant de son véhicule, elle se retrouve devant les deux Rottweilers qui la fixent d’un regard interrogatif. Elle s’accroupit et tend la main gauche sous leur museau. Ils la reniflent, la lèchent et vont s’installer sur le perron en bois, près du rocking-chair de leur maître.

Sam sort sa carabine à la main. « Restez où vous êtes, Mademoiselle Beverly Chase ou Betty Wayne. Je n’aime pas beaucoup qu’on s’invite sur ma propriété sans y être invité. Qu’avez-vous à dire pour votre défense ? »

Betty lève les bras par réflexe et se fige. « Comment connaissez-vous mon nom ?

— C’est moi qui pose les questions ici ! »

Elle n’en mène pas large et commence à se dire que ce n’était peut-être pas une bonne idée d’arriver dans le noir. Elle aurait peut-être mieux fait d’attendre le lendemain matin. Elle commence à fatiguer les bras levés et va commencer à dire quelque chose quand Sam la prend de vitesse. « Êtes-vous VEGAN ?

— ??? N… Non !

— Dieu soit loué ! Tu entends ça John ? Rajoute un couvert pour la dame. Approchez Betty. Venez à l’intérieur. Ma carabine n’est pas chargée. Je vous ai bien eue ! »

Betty baisse les bras et la tête. Elle comprend que tout ça n’était qu’une mise en scène et qu’elle en a fait les frais. Elle pense que c’est probablement ce con de Dave qui a prévenu Sam après l’avoir obligée à remplir un caddie. Il aura repéré son nom sur la Mastercard !

 

La maison de Sam est toute en bois du toit au plancher. Et c’est une jolie maison avec un grand perron abrité qui protège du soleil. Sam a voulu donner un style Western à sa demeure et il a installé des poteaux pour qu’on puisse, le cas échéant mais peu probable, attacher des chevaux devant le perron. L’intérieur est sobre, simplement meublé. En franchissant le seuil, elle entre dans le salon plutôt grand garni d’une cheminée parée de pierres, plus loin la cuisine et sur la gauche, après la grande table type monastère, deux portes donnant probablement sur des chambres. Entre le fauteuil et le canapé deux places, sur un tapis en corde tressée, une table basse. Sur cette table, Betty remarque deux bouteilles de bière presque vides. Cooper semble s’affairer dans la cuisine.

« Que voulez-vous boire Betty ? J’ai de la bière, du Whisky et… de l’eau !

— Une bière m’ira très bien. Je suis venue…

— Plus tard Miss Betty ! Plus tard. John est en train de préparer à sa façon une énorme côte de bœuf que je vais mettre à griller sur le barbecue. Alors vous allez boire une bière, nous on va sans doute s’en boire une deuxième, et puis on mangera tous du bœuf et du maïs et après on parlera de vos motivations. Ça vous va ? Vous arriverez à tenir jusque là ?

— C’est que je suis un peu gênée. Je ne voulais pas m’inviter de la sorte.

— C’est nous qui vous invitons. Ne faites donc pas tant de chichis. » Il part dans la cuisine et revient avec trois bières, suivi par John qui se contente de sourire.

« Asseyez-vous Betty » la prie Sam en lui tendant une bière. Betty le remercie et prend place dans le canapé. John s’assoit à côté d’elle et Sam s’installe confortablement dans son fauteuil en cuir. John entame la discussion : « Les chiens ne vous ont pas trop fait peur ?

— Non. Ce sont de gentils chiens.

— Je connais au moins trois voleurs qui ne seront pas de votre avis. J’imagine qu’ils boitent toujours. » Lui répond Sam. Et il se lève en déclarant qu’il est l’heure de faire la cuisine. Il demande à Betty ce qu’elle préfère comme cuisson pour une viande épaisse. Elle préfère bien cuit.

John l’interroge : « Pourquoi m’avoir caché votre véritable identité à Phoenix ?

— Je n’ai qu’un jeu de cartes de visite. Et puis je n’imaginais pas que vous découvririez ma véritable identité. Ce qui n’a pas beaucoup d’importance pour vous au fond.

— C’est une question d’honnêteté, de respect. Et ce n’est pas logique. Beverly Chase semble avoir pas mal d’ennemis, alors ça ne me paraît pas très prudent d’avoir ces cartes sur vous. Surtout dans ces circonstances. Si un des illuminés avait jeté un œil dessus, que se serait-il passé ? Des plumes et du goudron pour Beverly ? Mais passons. Nous discuterons plus tard tous les trois. Santé. »

John se lève et sort rejoindre Sam qui s’affaire en transpirant devant le barbecue. Sam a étagé la viande sur trois grilles à des niveaux de hauteur différents au-dessus du charbon ardent pour respecter le goût de tout le monde. Marge aimait la viande bien cuite elle aussi alors que lui la préfère bleue.  « C’est bientôt prêt John, tu as débouché la bouteille de vin ?

— Débouchée dès mon arrivée pour que le divin breuvage prenne l’air.

— Ton séjour en France t’aura appris quelque chose…

— Tu devrais y aller un jour toi aussi. Tu ne le regretterais pas.

— Avec Marge, on projetait d’y passer des vacances sur la côte d’Azur. Juste avant…

— Je vois. Désolé. Je ne voulais pas…

— Non, ce n’est rien. Va dresser la table, tu sais où la vaisselle est rangée.

— La belle ou l’ordinaire ?

— La belle ! Nous avons une invitée, voyons ! »

 

C’est Marge qui avait choisi la belle vaisselle. Elle trouvait que pour les grandes occasions, il fallait un beau service pour rehausser la qualité du repas. Elle avait raison.

 

En sortant la vaisselle du buffet, John se dit que Marge avait un certain chic. Chose que n’avait pas Mary son ex. Elle n’avait aucun goût ni fantaisie. Elle se contentait du basique et ne cherchait jamais à embellir quoi que ce soit. Trop obnubilée à emmerder son entourage, à écouter les ragots et les disséminer tout autour d’elle. Un véritable poison. Et au moment de divorcer, elle lui avait rendu la vie impossible. Ça dépassait l’entendement et le juge, las d’écouter ses jérémiades avait fini par lui ordonner de la fermer et l’avait menacée d’une inculpation pour outrage et mensonge devant la cour. Et il lui avait conseillé de consulter un psy. Mary en avait eu le souffle coupé. Cela faisait longtemps que John n’avait ressenti une telle joie en compagnie de sa femme. Décision de la cour : Partage des biens à égalité alors qu’elle réclamait la totalité pour des fautes imaginaires. Comme quoi la justice existe…

 

Betty propose son aide mais John lui répond que ça ira et que les invités n’ont pas à mettre la main à la pâte. Le couvert posé, il retourne en cuisine pour revenir déposer un saladier sur la table et quelques épices. Il repart chercher la bouteille de vin. Sam revient à son tour, un grand plat dans les mains, la viande et les épis de maïs fument et dégagent une bonne odeur qui augure un excellent repas.

 

Pendant qu’ils mangent, Sam demande à Betty si Dave lui a fait le coup du caddie. Elle répond par l’affirmative. Et Sam sourit. « Il le fait à chaque fois qu’un inconnu demande des renseignements. C’est un malin. C’est sa façon de connaître l’identité des nouveaux venus ; avec un caddie plein, personne ne paie en liquide.

— Je trouve ça malhonnête.

— Vous en avez eu pour votre argent, non ? C’était une bonne action et il vous a rendu service.

— Vraiment ?

— Bien sûr. Grâce à son stratagème, j’ai su qui vous étiez et que vous arriviez. C’est grâce à lui que vous êtes invitée à ma table et que je n’ai pas ordonné aux chiens de vous chasser.

— Vu comme ça…

— Prendrez-vous du café ?

— Si vous en avez de prêt, sinon…

— Le café, c’est comme le poisson : C’est meilleur quand c’est frais. Et John et moi on en boit toujours en fin de repas. »

John quitte la table et retourne en cuisine en déclarant qu’il s’en occupe et qu’ils vont pouvoir discuter de la raison qui a amené Betty à le suivre jusqu’ici.

 

Le café servi, John demande : « Vous m’avez affirmé que vous n’avez pas cru ce que j’ai annoncé lors de ma conférence. Pourquoi ? »

Betty sort son carnet de son sac. « Je ne vous crois pas quand vous affirmez que vous avez simplement trouvé des poteries et des bouts de tissu car j’ai photographié les images que vous avez insérées dans votre PowerPoint et il se trouve que les objets sont ceux que vous avez exhumés lors de vos précédentes fouilles des tombes amérindiennes. Exactement les mêmes. J’ai vérifié et comparé les ornements, les brisures, tout correspond. Alors, soit vous n’avez rien trouvé du tout et vous inventez quelques artefacts mineurs, ou bien, vous avez trouvé quelque chose de tellement important, si dérangeant que vous ne voulez pas le divulguer. Mais s’il n’y avait rien, vous ne seriez pas restés dix jours là-bas. Donc…

— Quel est votre but ? Vous êtes journaliste freelance. Il vous faut un scoop ? J’avoue avoir du mal à vous comprendre. D’un côté, la Beverly passe son temps à démonter, “ débunker“ comme on dit maintenant les théories qui circulent, et de l’autre, la Betty ne croit pas qu’il n’y a rien dans la grotte des anciens. C’est pour le moins paradoxal. C’est de la dichotomie ?

— Non. Je suis une logique. Je cherche la vérité. Quand je tombe sur un farfelu qui veut entraîner les gogos à croire des idioties, je n’hésite pas à démonter ses élucubrations. Mais si je trouve quelque chose qui tient la route, je cherche, je creuse et je finis par donner un avis éclairé. Il m’arrive d’être d’accord avec certaines théories tant que la preuve du contraire n’est pas fournie et qu’on n’affirme pas l’idée comme étant une vérité. Je suis journaliste, mais je ne cherche pas la renommée. Je n’ai pas besoin de scoop. Mais je suis passionnée par notre histoire et je suis à la recherche de la vérité. »

Sam croise les bras. « Quelle vérité ?

—  Celle de nos origines. Comment se fait-il que nous ayons progressé aussi rapidement alors que le reste du règne animal ne l’a pas fait ? Je pense notamment aux grands singes. Y a-t-il eu intervention extérieure ? Une manipulation du génome ? Je n’en sais rien. Par contre, je sais que tous les écrits sacrés évoquent l’arrivée des Dieux en provenance du ciel. Des Créateurs de l’humanité. Ma quête est d’ordre personnel et pourrait être considérée comme une recherche en paternité. Et je me fiche pas mal de la célébrité. Je laisse ça à d’autres qui ont l’Ego surdimensionné. D’ailleurs, si vous recherchez mes articles, vous les qualifierez de sobres. Je ne fais pas dans le sensationnel. »

John sourit en reposant sa tasse sur la table : « Et que feriez-vous si vous veniez à découvrir quelque chose en rapport avec votre quête ? Vous n’iriez pas en faire étalage sur votre site ? Vous n’écririez pas un article digne du prix Pulitzer ?

— Non. Sauf si vous me le demandiez. Si vous avez fait une découverte extraordinaire et que vous m’en informez, je suivrai vos instructions. C’est votre découverte, pas la mienne. »

Sam semble réfléchir et adresse un regard interrogateur à John. Le professeur tapote la table en faisant jouer ses doigts sur le bois. « Betty, pouvez-vous concevoir que révéler une découverte puisse s’avérer dangereux ? Aussi bien pour ceux qui en sont les auteurs que pour le monde en général ?

— C’est à ce point ?

— Ça pourrait.

— Et de quoi s’agit-il exactement ?

— Nous n’en savons rien. Tout ce que nous pouvons en dire, c’est que ça vient d’ailleurs. » Betty ouvre de grands yeux. « Dites m’en plus ! S’il vous plaît !

— Si Sam est d’accord, le mieux est que nous y retournions demain tous les trois et vous pourrez vous faire votre propre opinion. » En sortant son paquet de cigarettes de sa poche de chemise, Sam approuve et déclare que c’est la meilleure chose à faire. Ils partiront aux aurores.

Betty a eu droit à la chambre d’amis attenante à la cuisine. Elle tourne et vire dans le lit, cherchant en vain le sommeil. Trop excitée à l’idée de ce qu’elle découvrira bientôt. La réponse à ses questions ? Des preuves d’une présence étrangère sur Terre ? Elle connaît la réputation de Cooper et sait très bien qu’il n’est pas du genre à raconter des salades. Ce doit être énorme !

Elle finit par s’endormir vers quatre heures du matin, d’un sommeil contrarié, agité.

 

À six heures, elle est réveillée en sursaut par les petits coups à sa porte. Sam lui annonce qu’il est l’heure de se lever. Elle reste un moment à se demander où elle se trouve et se remémore les faits de la veille. Elle saute hors du lit et s’habille à la hâte. En ouvrant la porte de la chambre, les arômes du café, des œufs et du bacon frits la surprennent agréablement. Elle salue Sam et John attablés et les rejoint. À côté de son assiette, une brosse à dent emballée et un tube de dentifrice sont posés à son intention. « Merci Sam, vous êtes un chou. » Sam grommelle quelque chose avant de lui verser du café dans sa tasse. Les deux chiens sont allongés près de la porte d’entrée, le museau entre leurs pattes avant. Ils semblent observer et écouter ce qui se dit. John se lève et les informe qu’il commence à charger le pick-up et, joignant l’acte à la parole, il sort emportant deux grands sac à dos en toile verte, comme ceux des militaires en campagne. Sam se lève à son tour et se saisit deux packs d’eau et d’un jerrycan en plastique transparent et sort à son tour.

Au bout de deux minutes, ils reviennent pour récupérer une grande boîte à outils, des couvertures et des duvets. Betty n’est plus à table, la brosse à dent et le tube de dentifrice ne sont plus là. Quand elle réapparaît, Sam et John sont accoudés au quatre-quatre de Sam. « Une minute, s’il vous plaît ! » et elle se dirige d’un pas pressé vers la petite Ford. Elle y récupère un sac à dos de dimension modeste ainsi qu’une doudoune épaisse et une paire de brodequins en cuir. Puis elle revient devant Sam et John.  « On prend laquelle ?

— On prend les deux. » Lui répond John. « Par sécurité, en cas de panne ou d’accident. Vous devriez monter avec Sam, son véhicule est plus confortable que le mien. »

Betty  note que les deux chiens sont assis à l’arrière du pick-up. Ils ont la gueule entrouverte et semblent sourire. Quand le professeur commence à rouler, ils se couchent.

Sam démarre à la suite de John et s’engage à son tour sur la piste poussiéreuse dans la lumière matinale. « Dites-moi Sam, comment avez-vous trouvé la grotte ?

— Oh ! Ça a été toute une histoire… Les amérindiens nous ont donné des indications, mais on ne les a pas comprises tout de suite.

— Ah bon ?

— Ouais. Trouvez et suivez la ceinture d’Orion ! Voilà ce qu’ils nous ont dit. On a d’abord téléchargé une application qui donne en temps réel la position des étoiles au-dessus de nos têtes, mais on s’est vite rendu compte que ça n’avait pas de sens puisque notre système solaire est en mouvement permanent. Alors John s’est dit que si ce n’était pas en l’air, ce devait être au sol.

— Ok. Et donc ?

— John a acheté un drone et au bout de deux jours, on l’a trouvée. Symbolisée par de grosses pierres blanches disposées par terre, la constellation était là depuis des temps immémoriaux. On n’avait plus qu’à suivre l’axe indiqué par les trois pierres de la ceinture.

— Et vous êtes arrivés pile dessus ?

— Oui, mais on n’en savait rien. On ne voyait aucune entrée de grotte !

— Comment est-ce possible ?

— Vous comprendrez quand on y sera…

— Si vous le dites… Et c’est loin ?

— Une heure de route à peu près.

— Ça vous ennuie si je dors ? Ma nuit a été très courte, trop courte.

— Non, piquez un roupillon. Il y a un plaid sur le siège arrière, prenez-le. »

Emmitouflée dans le plaid, bercée par le léger roulis du véhicule et les yeux fermés, Betty s’endort très rapidement. Elle rêve d’indiens qui la poursuivent à cheval en poussant des cris pour l’empêcher d’accéder à la grotte et ses secrets. Elle court mais n’avance que très peu, comme si ses pieds la trahissent. Elle a l’impression de pédaler dans la semoule et les cris se rapprochent. Elle panique, redoublant d’effort pour échapper à ses poursuivants mais n’avance pas d’un iota. Quand un des indiens saute de son cheval en brandissant son tomahawk, son cœur bondit dans sa poitrine et elle se réveille en sursaut. Ses bras s’agitent devant elle comme pour attraper quelque chose. Sam serre le frein à main en lui jetant un regard bienveillant. « Un cauchemar ?

— Oui. Affreux.

— C’est terminé. Et on est arrivé. Changez de chaussures, ça vaut mieux.»

John ouvre l’arrière du pick-up et les deux chiens sautent du véhicule. Ils courent jusqu’à Sam en le voyant sortir du quatre-quatre. Ils se dandinent et poussent de petits couinements jusqu’à ce que leur maître les caresse et leur flatte la croupe.

Betty contemple le panorama. Ils sont près du bord du grand canyon, à une vingtaine de mètres, peut-être. Sam pointe son index dans une direction et elle aperçoit un peu plus loin un petit rocher blanc dépassant des maigres herbes. Il semble être le seul dans la zone, mais en regardant plus loin encore, un deuxième apparaît. Elle imagine sans peine que d’autres se situent plus loin et couvrent une large surface.

John sort les sacs à dos verts et en enfile un sur ses épaules. Sam se charge du deuxième et scrute les environs à l’aide d’une paire de jumelles. « S’il y a du monde, on fait semblant de se balader et on rentre. On reviendra un autre jour. Betty se mord l’intérieur des joues en priant pour que personne ne traîne dans le secteur. Sam range ses jumelles et déclare qu’ils peuvent y aller.

John s’approche de Betty. « Vous fermerez la marche car chargés comme on l’est, si l’un de nous vous tombe dessus durant la descente, vous finirez au fond du canyon, mille trois cent mètres plus bas… Vous devrez poser les pieds comme le fera Sam. C’est comme un escalier naturel, mais très dangereux. Un seul faux pas et c’est le saut de l’ange. Prête ?

— Ok. Oui. Et les chiens ? Ils descendent comment ? » Elle s’est adressée à Sam. « Ils ne descendent pas. Ils gardent les véhicules et le matériel. Ils ont une grande gamelle d’eau sous le quatre-quatre. Ils sont habitués. » Sam siffle et les chiens accourent. Il lève son index et dit « garde » en tapotant sur le capot de son véhicule. Les chiens aboient et repartent en vadrouille.

 

La descente s’avère délicate et longue. Un pas après l’autre tout en assurant une prise pour une main le long de la paroi. Betty n’ose pas regarder en bas. Le canyon semble avoir été creusé par un Titan. Elle peine à imaginer la force et la quantité d’eau qui a réussi un tel exploit. Soudain, Sam s’arrête devant elle. « On a un problème ?

— Non. On y est. La grotte est là.

— Je ne la vois pas.

— Normal. Suivez-moi et faites toujours bien attention. » Ils progressent encore sur une dizaine de mètres. Betty baisse un instant les yeux pour s’assurer qu’elle pose le pied là où il faut et quand elle relève le nez, Sam et John ne sont plus là. Son rythme cardiaque augmente. Sont-ils tombés ? S’interroge-t-elle. « Sam ? John ?… Saaaam ! » Elle avance encore un peu et la voix de Sam retentit derrière elle. « N’avancez plus, venez par ici. » Sam lui apparaît dans une anfractuosité de la roche sur sa gauche. C’est un renfoncement derrière un pan de la paroi. Incroyable ! pense-t-elle. Elle se dit aussi qu’elle aurait pu chercher l’entrée pendant dix ans avant de la trouver. Comment ont-ils fait ?

Une fois derrière le pan de roche, elle découvre l’entrée. La paroi semble avoir été travaillée. Elle est lisse et brillante. Sam et John ont sorti leur lampe-torche et déplacent leur faisceau lumineux dans tous les sens. Betty se fait la réflexion qu’elle a le sentiment d’entrer dans une cathédrale.

La cavité est immense. Elle pioche sa lampe électrique dans son sac à dos et rejoint ses deux compagnons. « C’est immense ! » Au bout de quelques mètres, le sol est parfaitement plan. John l’appelle. « Venez par ici. Regardez à droite. » Elle le rejoint et en braquant sa lampe dans cette direction, elle découvre une forme brillante et rectangulaire qui repose sur le sol. Elle s’en approche. « Un sarcophage ?

— Possible. Pour le savoir, il faudrait pouvoir l’ouvrir.

— C’est en métal apparemment. C’est blanc, bleuté, sans aucune trace d’oxydation. Du titane ?

— Aucune idée. Rien ne semble pouvoir l’entamer » répond Sam. « Posez votre main dessus. » Ce qu’elle fait avant de la retirer vivement. « Ça vibre ?

— Oui. Laissez votre main à quelques centimètres de la surface et observez cette dernière. » Elle obéit et voit apparaître en demi teinte des signes complexes dans le métal. Elle se retourne vers Sam.  « C’est incroyable ! Je comprends votre hésitation à dévoiler cette découverte…

— S’il n’y avait que ça… » Lui répond John. « Suivez-nous. » Comme à regret, Betty quitte l’objet étrange des yeux et s’enfonce davantage dans l’obscurité, à la suite de John et Sam.

Au fond de l’immense cavité, John pointe son faisceau dans une nouvelle anfractuosité. « Un passage vers une autre partie. Vous n’êtes pas au bout de vos surprises !  On a bien failli la rater, on ne pouvait pas imaginer une telle chose… » Lui chuchote Sam. En entrant dans la seconde cavité, Betty remarque que la couleur des parois lisses n’est pas la même. Tirant sur le jaune. Elle passe ses doigts dessus et s’exclame : « Non ! Ce n’est quand même pas…

— Si ! C’est tapissé d’or. Des plaques parfaitement ajustées. » La renseigne le vétéran des Marines. «  Il y en a pour une véritable fortune ! Fort Knox à côté, c’est de la petite bière… » Il y a comme une brume au sol d’une épaisseur d’environ un mètre. Betty se demande s’il s’agit d’une brumisation ou encore d’une fumée. Cela semble statique. Et quand ils avancent, elle forme des volutes autour d’eux. Elle écarquille les yeux en apercevant une multitude de sarcophages bien plus grands que celui trouvé près de l’entrée. Ceux-là sont composés de deux parties distinctes. Le coffre à proprement dit est probablement du même métal que le précédent, mais la partie supérieure, le couvercle est fait d’un tout autre matériau, légèrement translucide. En dirigeant son faisceau lumineux sur un des couvercles, elle croit discerner une forme allongée à l’intérieur. Ce qui se trouve enfermé là fait bien trois mètres de long. « Incroyable ! Et il y en a combien ?»

— Des centaines. Il vaut mieux ne pas y toucher… » Lui susurre John. « Laissons-les dormir en paix. Passons à la suivante.»

— La suivante ? Parce qu’il y en a une autre ?

— Oui. Et pas des moindres ! »

 

Le trio se faufile entre les sarcophages et emprunte un nouveau passage pour déboucher dans une cavité encore plus grande. Elle est creusée et son sol se trouve à une dizaine de mètres sous l’entrée. Curieusement, il n’y fait pas sombre, il y règne une pâle clarté dont l’origine n’est pas apparente. Un chemin large de deux mètres environ, en pente douce et lisse descend jusqu’au fond  accolé à la paroi de gauche. Betty n’en croit pas ses yeux. C’est une véritable ville qui se trouve dans cette caverne aux dimensions incroyables. Les constructions sont étranges, de forme sphérique, blanches aux fenêtres triangulaires dont la base géométrique est le plus petit côté. Elles sont parfaitement alignées. En descendant le long de la rampe, elle aperçoit sur la droite un bâtiment plus grand  à côté d’un curieux édifice comprenant une plateforme métallique à sa base et de chaque côté de cette dernière, deux énormes pylônes dressés.

Arrivés au bout de la rampe, ils posent le pied sur le sol et se dirigent vers les habitations aux fenêtres singulières. Chaque édifice est immense. Les portes ne comprennent pas de verrou ni de serrure ; ce sont des battants. Betty demande à ses compagnons s’ils sont déjà entrés dans une de ces constructions. Ils répondent par l’affirmative et l’invitent à en faire autant. Elle respire un grand coup et ressent une forte envie de se pincer, juste comme ça, pour vérifier qu’elle n’est plus en train de dormir et de rêver dans la quatre-quatre de Sam, ou encore dans la chambre d’amis à imaginer en songe tout cela… Son cœur bat la chamade. Elle pousse doucement le battant et pénètre à l’intérieur. Tout lui paraît gigantesque. Elle aperçoit une table et des tabourets, ainsi que d’autres meubles de rangement aux formes étranges et faits de ce métal inconnu. Il y a ce qui s’apparente à des coffres de différentes tailles et des objets mystérieux dont elle ne comprend pas la destination. Elle repère sur un des meubles un petit cadre argenté-bleuté avec en son centre un écran noir. En le touchant du bout du doigt, elle ressent une légère vibration. Elle le saisit alors à deux mains et manque de le laisser tomber quand un son strident est émis et que différentes images apparaissent sur l’écran. Elle se retourne vers John et Sam. « Vous avez vu ça ? » elle poursuit l’observation de l’objet. Des images défilent lentement. Elle voit un paysage étrange aux couleurs inhabituelles, des visages qui ne peuvent pas être humains, des têtes au crâne allongé. Ils se ressemblent tous et communiquent joyeusement de façon orale dans une langue inconnue. Ils portent tous la même tenue grise luisante. Les images continuent de défiler et l’être qui enregistre monte dans un grand vaisseau avec ses congénères. Ils semblent excités ? Ils décollent et bientôt, les images montrent quelque chose d’énorme dans l’espace : une gigantesque structure à laquelle viennent s’amarrer les vaisseaux qui, du coup paraissent maintenant minuscules. » Quelques vues de l’intérieur de la ville flottante, puis des prises de vue à travers une vitre, une descente vers la verdure, le grand canyon qui charrie une incroyable quantité d’eau. C’est un véritable fleuve tumultueux. Les êtres maintenant semblent s’affairer sur différentes machines, des diagrammes apparaissent au-dessus d’eux. Puis ils descendent de leur vaisseau et s’approchent du bord du canyon avec précaution, traversant l’épaisse végétation. Des petits engins volants quittent le vaisseau et s’éparpillent dans toutes les directions. Des animaux préhistoriques apparaissent dans le champ de l’appareil et l’un des êtres active un bouton sur sa manche et les animaux s’enfuient immédiatement. Deux grosses machines descendent du ciel et commencent à s’affairer le long de la paroi. Des rayons très lumineux sortent de ces machines de façon stroboscopique. Les images suivantes  montrent un énorme appareil aux formes défiant les lois de l’aéronautique se positionner au-dessus de la paroi et se déplacer de long en large en envoyant de longues impulsions lumineuses vers le bas. Il semble à Betty que des choses descendent à l’intérieur du large rayonnement. Puis l’appareil s’éteint. Betty reste sans voix.

Sam s’approche d’elle et lui prend doucement le bras.  « Reposez-ça maintenant. Venez. Vous devez voir autre chose. » Une partie d’elle se refuse à lâcher la visionneuse d’un autre monde, aussi, c’est à regret qu’elle dépose l’objet extraordinaire sur le meuble, là où elle l’a trouvé. Sam et John l’entraînent maintenant vers l’étrange estrade munie de deux pylônes. Elle remarque une sorte de pupitre ou un lutrin circulaire et plat dans sa partie supérieure. Le plateau comporte plusieurs parties métalliques jaunes encastrées les unes dans les autres. Idéalement, elles devraient former un cercle parfait mais il semble en manquer une car tout le plateau n’est pas couvert.  « Le plateau n’est pas complet » laisse-t-elle échapper. Elle le photographie. Ce qui contrarie John.

— Oui. Nous avons imaginé qu’il s’agit d’un appareil pour téléporter ou communiquer avec le vaisseau-mère. Il ne fonctionne pas en raison du manque d’une pièce.

— Ils l’ont emportée ?

— Qui ? Les êtres qui vivaient ici sont toujours là, dans leur sarcophage. » Répond John. « Nous pensons qu’ils l’ont enlevée et cachée pour protéger leur groupe. Il devait y avoir un danger à l’utiliser. Sam et moi en sommes venus à la conclusion qu’une autre espèce ennemie de ceux-là est arrivée et a entamé le combat dans l’espace. Ils ont dû comprendre que leurs vaisseaux et leur ville flottante étaient en voie de destruction. Certains ont probablement voulu rejoindre les vaisseaux et on péri, ou ils ont craint que leurs communications donne leur position. Alors pour s’assurer que plus personne ne partirait vers une mort certaine, ils ont enlevé un des morceaux du plateau de commande. Peut-être aussi pour empêcher leurs ennemis d’investir leur grotte ?

— Peut-être. Et pourquoi sont-ils tous dans des sarcophages ?

— On l’ignore pour l’instant. » Avoue Sam. A cause du temps peut-être.

— Le temps ?

— Oui. J’imagine qu’initialement, ils ne devaient pas rester éternellement sur Terre et que d’autres devaient venir les remplacer au bout de quelques années. Mais si, comme nous le pensons, il y a eu un conflit entre ethnies au-dessus de la Terre et qu’ils ont été défaits par leurs ennemis, ils savaient que la relève n’arriverait pas de sitôt. J’imagine qu’ils ont préféré entrer en hibernation pour ne pas souffrir d’une éternité à attendre.

— Ça se tient si on admet un conflit spatial ; ce qui n’est pas certain. Il y a peut-être d’autres visionneuses qui témoignent  de ces événements ? Avez-vous tout fouillé ?

— Non, nous ne sommes restés que dix jours et nous n’avons trouvé cette partie qu’au septième. Nous avons, Sam et moi procédé de façon systématique en commençant par le fond. On s’est arrêté là où vous êtes entrée. On devait repartir.

— Et cette construction plus grande ? C’est quoi ? »

John soupire : « allons voir. »

L’entrée du bâtiment est comme celle des habitations ; Il suffit de pousser pour entrer. À l’intérieur, les parois sont meublées par de nombreux pupitres éteints. Sur la droite, un escalier mène à l’étage. En face de l’entrée, un grand écran semble avoir été fixé à mi hauteur. Sur une étagère, Sam découvre d’étranges disques portant des signes inconnus. Ils paraissent faits dans une matière minérale. « Venez donc voir ça ! » John se frotte le menton. « C’est curieux, mais je crois bien avoir déjà vu ce genre de disque… Oui ! Dans un reportage réalisé en chine. Les Dropa je crois. Ils sont similaires ! Cherchez un appareil qui pourrait les accueillir… »

Sam et Betty font rapidement le tour du local Sans rien trouver qui pourrait s’apparenter à une station de lecture. Sam décide alors d’emprunter l’escalier et disparaît bientôt. Alors que Betty et John lui emboîtent le pas, ils l’entendent siffler et les appeler. « Venez voir un peu ça ! » En arrivant dans la pièce, ils réalisent qu’il s’agit d’une sorte de laboratoire. Des cages et de grandes cuves vides entourées d’une multitude d’appareils sont disposées sur une paillasse métallique et sur la cloison, de grandes affiches montrent une succession d’hominidés sous chacun desquels figurent deux doubles hélices. Une à gauche et l’autre à droite. John remarque ce celle de droite ne varie pas d’une affiche à l’autre. C’est toujours la même Sur le dernier poster figure un humain aux traits amérindiens. Sam ouvre un tiroir et en sort d’autres planches montrant des êtres hybrides. De lions ailés, des corps humains surmontés d’une tête animale. « C’est quoi ces conneries ? » s’interroge Sam. John consulte d’autres planches aussi insolites les unes que les autres.

« Je crois que des expériences de création et de modification des espèces ont été menées ici. Si j’en crois ce que je vois, ils ont mélangé une partie de leur ADN avec celui d’espèces préexistantes jusqu’à ce qu’ils obtiennent le résultat escompté.

— Quel résultat ? » S’enquiert Sam. « Nous. » lui répond Betty en montrant le dernier poster affiché au mur. « Pourquoi auraient-ils fait ça ? Ils nous auraient créés pour quelle raison ? Ils auraient tout aussi bien pu coloniser la planète, non ?

— Tu marques un point, Sam. » Admet John. « Pourquoi créer une race inférieure à la leur ? Pour la maîtriser ? En faire des serviteurs suffisamment intelligents pour comprendre les ordres ? Et si ça a si bien marché, pourquoi sont-ils tous dans des sarcophages ? Ils pourraient régner en maîtres absolus. Et cette pièce manquante sur l’appareil dehors… Que s’est-il passé ?

— John, que dit la légende des Navajos ? » Demande Betty.

— Rien à ce sujet. Elle évoque cet endroit. Rien de plus.

— Ils en savent peut-être plus que ça, non ? Je propose qu’on aille les rencontrer et leur montrer le cliché du plateau avec la pièce manquante.

— Cette photo que tu as prise, il faudra la détruire. Imagine un peu ce qui pourrait se passer si l’existence de tout cela était révélée.

— C’est la seule photo que j’ai prise. Uniquement dans l’optique de trouver le morceau manquant. Et ça ne me  posera pas de problème de la supprimer bientôt. »

Tout en contemplant les affiches posées au mur, Sam enfonce ses mains dans ses poches et déclare : «  On va aller rendre visite aux Navajos. Je crois qu’on en a assez vu pour aujourd’hui. Je… Je me demande finalement si ces êtres étaient aussi sympas qu’on l’imagine. Ils semblaient cool entre eux, mais avec nous ? Ils sont peut-être très bien là où ils sont, dans leur sarcophage… »

 

Remontés à la surface, ils sont joyeusement accueillis par les deux chiens qui sortent en se dandinant de sous le quatre-quatre. Il est onze heures et il faudra quatre heures de route pour atteindre la réserve.

John a déjà rencontré le chef des Navajos lors de ses précédentes fouilles archéologiques. Un gars d’une quarantaine d’années qui fait son possible pour améliorer le quotidien des Navajos. Cependant, L’Etat ne fait pas grand-chose pour l’aider et peu de ses congénères peuvent accéder à l’électricité. Quant à l’eau courante, c’est le plus gros problème. Le COVID a frappé fort dans la réserve et le nombre élevé de victimes a été en grande partie dû au manque d’eau car les nappes phréatiques sont toujours polluées par l’activité minière. Pas facile d’être Navajo…

À l’époque des fouilles des tombes, le chef avait présenté John à l’ancien de la tribu, le sage, le détenteur du savoir. Et c’est ce vieillard presque aveugle qui lui avait parlé de la grotte des anciens et de la constellation d’Orion. John se souvient que le vieil homme lui avait demandé pourquoi il voulait trouver cette grotte et John lui avait répondu qu’il œuvrait pour une meilleure connaissance de l’histoire de l’humanité.

À cela, le vieil homme avait rétorqué en souriant que la vérité pouvait être plus douloureuse que la pointe de la flèche et qu’ils se reverraient bientôt…

 

Betty est montée dans le pick-up pour tenir compagnie à John. En le voyant perdu dans ses pensées, hocher de la tête, elle ne peut s’empêcher de lui demander : « À quoi pensez-vous ?

— À un vieil indien bien plus malin qu’il ne le laisse paraître. »

 

En arrivant à l’entrée du village Navajo, un jeune homme arrive à cheval et s’arrête à hauteur du véhicule. John sort en s’étirant. « ya’at’eeh ! (bonjour en Navajo) » Le jeune homme salue de la tête. « Nous souhaitons revoir l’ancien. Est-ce possible. Il nous attend. » Le cavalier fait un signe de la main pour l’inviter à le suivre. John remonte dans son véhicule et le suit à l’intérieur de la réserve. Le cavalier descend de sa monture près d’un baraquement et entre en ôtant son chapeau. John et Sam se garent à proximité. Sam descend de sa voiture et fait un signe à ses chiens qui aimeraient bien descendre du pick-up. Ils se rallongent aussitôt sans regimber.

Les trois étrangers patientent un petit moment jusqu’à ce que le jeune indien ressorte et invite John à entrer. Lui seul. Sam et Betty, navrés, retournent au pick-up et libèrent les chiens.

L’intérieur de la construction n’est pas très éclairé. Le vieil homme est assis dans un fauteuil et une épaisse couverture aux jolis motifs le recouvre. À l’arrivée de son visiteur, Ses yeux semblent s’éclaircir et un large sourire illumine son visage. «  John Cooper ? Le blanc qui creuse les tombes ?

— Oui, c’est moi.

— Tu n’es pas venu seul…

— Betty et Sam m’accompagnent. Nous revenons…

— De la grotte des anciens. Je m’en doute, sinon, tu ne serais pas venu rendre visite à un vieillard presqu’aveugle et qui a déjà un mocassin dans le territoire de l’ombre.

— Si je peux vous venir en aide de quelque façon que ce soit…

— As-tu le pouvoir de me rajeunir ?

— Non.

— Alors ne dis pas n’importe quoi. Vous, les blancs, vous parlez trop. As-tu trouvé ce que tu cherchais ?

— Eh bien, à vrai dire, je ne suis pas certain d’avoir compris le sens de tout ça.

— Cela t’honore. D’autres que toi auraient tiré des conclusions erronées s’en seraient satisfaits. Qu’as-tu compris et que veux-tu savoir ?

— J’ai compris qu’il y a très longtemps, avant que les premiers hommes foulent le sol de cette Terre, D’autres êtres sont venus de l’espace. Ils se sont installés dans la grotte et ont entrepris de créer une nouvelle espèce en se servant de leur propre ADN. Ils ont fini par créer les humains. Après, il a dû se passer quelque chose d’important car ils sont tous enfermés dans leur sarcophage. Et il y a un appareil auquel il manque une pièce. On se demandait si par hasard ce morceau manquant ne serait pas détenu par les Navajos.

— Vous avez bien avancé. Tu sais maintenant comment ont été créés les hommes. Mais tu ne sais pas pourquoi. Mon arrière petit-fils va revenir sous peu nous apporter quelque chose d’important.

— La pièce manquante ?

— Non. Cette chose là a disparu depuis la nuit des temps et c’est très bien comme ça. »

Alors que John allait demander pourquoi, on toque à la porte et le jeune cavalier réapparaît avec une large couverture sur les bras. Il entre et John s’écarte pour le laisser la déposer sur les jambes du vieil homme. Il repart aussitôt.

Le sage sourit en tâtant la couverture : « John Cooper ! Es-tu capable d’imaginer la valeur de cette chose ?

— J’ignore ce que c’est.

— Evidemment. Prends-le. Sors-le de la couverture et déplie-le avec la plus grande délicatesse. »

John Déroule la couverture et en sort un énorme morceau de cuir enroulé sur lui-même. Il l’étale avec mille précautions sur le lit. « Que vois-tu John Cooper ?

— Je vois un grand morceau de cuir portant des inscriptions et des dessins. C’est du buffle ?

— Non. C’est le cuir d’un animal qui a disparu de la surface de la Terre depuis des milliers et des milliers d’années.

— Comment est-ce possible ?

— Regarde les dessins, John. Regarde bien. Et tu comprendras comment se sont déroulés les faits, à cette époque lointaine.

— Eh bien, je vois en haut des êtres dessinés qui ressemblent aux anciens de la grotte. Il y a aussi des hommes en groupes. Ils ont des outils ? On dirait que certains groupes s’envolent. Je vois aussi comme des disques avec un point au centre. Et un disque plus gros avec des têtes d’hommes dedans.

— Bien. Continue.

— Plus loin, les hommes ont des lances et des arcs. Un des êtres semble être à terre, blessé ou tué par des flèches. De nombreux hommes sont aussi à terre. Là ! On dirait les maisons dans la grotte avec les fenêtres triangulaires… Il s’y déroule une bataille. Et ici, entouré d’hommes, un seul être tend un objet devant deux poteaux. Et maintenant, l’être est à terre et l’objet est au sol. On dirait la pièce manquante.

— C’est exactement ça. Que comprends-tu ?

— Je comprends que les anciens de la grotte ont créé l’homme pour l’asservir ici et peut-être dans d’autres mondes jusqu’à ce que leur création se retourne contre eux ? Quelle importance a le morceau manquant ?

— Si tu pouvais lire ce qui est écrit, tu apprendrais que ce morceau a été enlevé des mains de l’être qui tentait de le reposer à sa place dans l’appareil. Probablement pour appeler du renfort ou s’enfuir.

— En bas, les hommes sont regroupés autour d’un des êtres. J’ai l’impression qu’ils dansent ?

— Tu as raison. L’histoire dit qu’un de ces êtres étrangers n’était plus d’accord avec les autres et qu’il s’est associé aux hommes pour les libérer. C’est Manitou ! D’après les anciens, Manitou est resté parmi les hommes pendant très longtemps, des milliers d’années peut-être. Il leur a appris beaucoup de choses. Il a aussi eu beaucoup d’enfants…Des géants.

— Il a vécu combien de temps ?

— Il vit toujours. Dans son sarcophage. Celui qui se trouve à l’entrée. Fatigué de sa vie parmi les hommes, après avoir peuplé la Terre et érigé des sociétés à travers le monde, il est revenu ici et s’est enfermé dans sa boîte.

— Incroyable ! Et les autres ? Dans les sarcophages translucides ? Ils sont vivants eux-aussi ?

— Non. Ceux-là sont bien morts. C’est pour cette raison que leurs boîtes n’ont pas la même apparence que celle de Manitou.

— Il s’est endormi pour l’éternité ?

— Non. Il a promis qu’il reviendrait. Bien plus tard pour marcher à nouveau parmi les hommes et les aider à évoluer si nécessaire.

— Il n’a pas donné de date, je présume…

— Ah ha ! L’homme blanc veut toujours des précisions ; il ne sait pas prendre les choses comme elles viennent. Il a toujours peur. Tellement peur de la mort que ça l’empêche de vivre pleinement. La fin du texte tout en bas indique que c’est un humain qui réveillera Manitou. Il lira son nom de sa main et Manitou se réveillera.

— Il lira son nom de sa main ? Qu’est-ce que cela signifie ? »

Le vieux sage s’enfonce dans son fauteuil et remonte sa couverture sous son menton en souriant. « Tu te comportes comme un aveugle… Laisse-moi maintenant. J’ai beaucoup parlé et je dois me reposer. Emporte le morceau de cuir, il est à toi. Partage ce que tu sais avec tes amis, si tu es vraiment sûr d’eux. Il ne faudrait pas que de mauvaises personnes viennent s’emparer de ce qui se trouve dans la grotte. Adieu John Cooper. Nous ne nous reverrons plus. Mon temps ici est bientôt terminé. »

 

Décontenancé, John reste un moment à contempler le vieillard endormi puis sort, le cuir roulé sous le bras en refermant doucement la porte.

À l’extérieur, la luminosité l’oblige à porter sa main sur son front, le temps que sa pupille s’accommode à la lumière.

Sam et Betty sont dans le pick-up et les chiens sont allongés au sol  au plus près du véhicule. En l’apercevant, Sam descend et s’étire un long moment. John les rejoint.

« Alors ? » Lance Betty. « Tu en sais plus ?

— Oui. Sam, on devrait rentrer chez toi si ça ne te dérange pas. Et retourner à la grotte demain matin. Si tu es d’accord.

— Mi casa es tu casa amigo !

— Merci Sam. »

Betty sort à son tour en se rongeant l’ongle de l’index. « Vous ne voulez pas nous dire tout de suite ce que vous a révélé le vieil indien ?

— On en parlera chez Sam. En route ! » Betty semble très contrariée et suit Sam pour monter dans le quatre-quatre. Elle croise les bras et se mord nerveusement l’intérieur des joues. Sam remarque sa nervosité et préfère juste lui dire : « Il sait ce qu’il fait et il a sûrement de bonnes raisons pour agir ainsi. Patience ! » Betty ne répond rien et reste le regard fixé sur la route.

De son côté, John repense à ce que le vieux sage lui a dit. Notamment au sujet de ses amis. Sam est sûr. Depuis le temps qu’il le connaît… Par contre Betty, que sait-il à son sujet ? Sa vitrine sur le Net est-elle juste une façade ? A-t-elle pris d’autres photos ? Est-elle en relation avec un service gouvernemental ? Il regrette de ne pas l’avoir écartée dès le début. Il aurait dû la renvoyer avec perte et fracas. Elle en sait déjà beaucoup trop… Et que signifie lire son nom de la main ?  Mystère…

 

Garé devant la maison de Sam, John libère les chiens qui disparaissent aussitôt, heureux de retrouver leur environnement.

Sam et Betty entrent dans la maison et il les rejoint avec le rouleau de cuir à la main.

Sam et Betty restent immobiles, attendant que John veuille bien entamer la discussion.

« Betty, je dois procéder à quelques vérifications. Je t’en demande pardon, mais il faut que je le fasse. »

Betty devient rouge comme une tomate et ouvre la bouche pour protester, mais aucun son ne sort. « Je te demande de vider tes poches et le contenu de ton sac sur la table, s’il te plaît. Et déverrouille ton portable. »

Betty blêmit et s’exécute avec des gestes rageurs. « Vous ne me faites donc pas confiance ? Je vous ai suivis dans la grotte et chez les Navajos, j’ai supprimé la seule photo que j’avais et maintenant, vous me suspectez ? De quoi au fait ?

— Je ne sais pas vraiment, mais le vieux sage m’a mis en garde, alors je préfère vérifier… Même si vous devez me maudire. » Ceci étant dit, John inspecte tous les objets éparpillés sur la table en ouvrant toutes les boites. Il fait sortir le bâton de rouge à lèvres de son tube, puis inspecte le portable en lisant les derniers SMS, les mails, la galerie de photos et les enregistrements vocaux. À part la photo effacée et retirée des éléments récemment supprimés, rien n’a été activé depuis son arrivée la veille au soir. « Ok. Désolé Betty, il fallait que je le fasse pour pouvoir te faire vraiment confiance. »

Betty range ses affaires, le visage fermé, vexée. « Je suis venue à votre rencontre et je vous ai tout dit de moi. Je me suis livrée à vous et je pensais avoir été suffisamment sincère pour mériter mieux que ça. »

 

John lance un regard à Sam en quête d’aide, mais ce dernier se contente de hausser les épaules et disparaît dans la cuisine. Il revient rapidement avec trois bières fraîches et un décapsuleur. Il s’assoit sur le canapé, Betty le rejoint, les larmes au bord des yeux. John prend place dans le fauteuil habituellement réservé à Sam. Il déroule la peau ancestrale sur la table basse et, en remarquant que Betty est prête à pleurer, il joint ses mains. « Betty, pardonne-moi. J’avais et j’ai toujours confiance en toi. Je me suis laissé influencer par ce vieillard, et je m’en sens honteux. Désolé.

— C’est bon… Je m’en remettrai. » Répond Betty sans lever les yeux. John se dit qu’il faudra du temps pour qu’elle lui pardonne réellement. « Ceci… raconte l’histoire de l’humanité. D’après le sage, cette peau revêtait un animal disparu depuis des milliers d’années. Les dessins que vous pouvez observer confirment notre idée que des êtres venus d’ailleurs ont créé les humains pour les asservir et les déporter sur d’autres planètes. L’histoire écrite dans une langue que je ne connais pas, et que personne ne connaît, à part le vieux sage apparemment, raconte comment un de ces êtres a finalement refusé de maltraiter les hommes et s’est joint à  eux pour  les libérer du joug qui leur était imposé. Il s’agirait de Manitou. Les hommes ont tué les êtres et Manitou a marché parmi eux pendant des millénaires. Il aurait ensemencé la totalité du globe  d’humains et serait revenu au grand canyon pour s’y reposer. D’après le sage, Manitou vit toujours dans son sarcophage, près de l’entrée, et attend qu’on l’en sorte pour revenir parmi nous. »

Betty et Sam ouvrent de grands yeux. Betty se lance : « C’est pour ça que ce sarcophage est différent des autres ! Il entretient la vie, alors que les autres ne contiennent que des cadavres. » Sam semble réfléchir : «  Et comment est-on censé le sortir de là ? Et est-ce une bonne idée de faire ça ?

— Je ne sais pas. Le vieillard m’a dit des choses plutôt énigmatiques  à ce sujet. Il a dit qu’un homme lira son nom de sa main et il se réveillera. »

— Rien d’autre ?

— Non. Si on fait exception de ses sarcasmes à l’encontre de l’homme blanc. Il semblait épuisé, il s’économisait et il a fini par s’endormir. »

Betty relève la tête en fronçant les sourcils. « Oui, Betty ?

— Non. Rien. »

Voilà, vous savez tout. Je propose donc qu’on se repose un peu et après une bonne nuit, nous repartirons demain matin pour tenter d’éclaircir tout ça. Faut-il que j’aille faire des courses Sam ?

— Non. Pas la peine. Je vais aller vite fait chez Dave. Ce sera plus simple. J’ai un compte chez lui. Un poulet grillé, ça vous tente avec des pommes de terre poêlées ? » John et Betty acquiescent. John remarque la mine contrariée de la jeune femme et met ça sur le compte de sa récente mise en cause. Sam finit sa bière et part à bord de son quatre-quatre.

John et Betty se retrouvent seuls face à face de chaque côté de la table basse. Elle paraît songeuse. « John ? Vous connaissez Sam depuis combien de temps ?

— Une quinzaine d’années.

— Comment l’avez-vous rencontré ?

— Eh bien, quelques temps après le décès de son épouse, il est venu s’installer ici et, à cette époque, je faisais déjà des fouilles chez les Navajos dans le cadre de la formation de jeunes étudiants en archéologie. Et pendant nos travaux, il s’est présenté car il voulait se rendre utile comme bénévole. On a sympathisé et sommes devenus amis. Je sais pouvoir compter sur lui comme il sait pouvoir compter sur moi en cas de besoin. C’est un type bien.

— Je n’en doute pas. Bon, je vais squatter la salle de bains pour un moment. Et… Mon portable est sur la table. »

John veut répondre, mais Betty s’est déjà levée et disparaît rapidement de sa vue. Merde ! pense-t-il.

 

 

Sam revient trente minutes plus tard, un cageot sur les bras. Les Rottweilers l’accueillent joyeusement puis repartent. Lorsqu’il entre, le fumet du poulet rôti se répand dans la maison. Il remarque que Betty est à nouveau toute pimpante et souriante. Il dépose ses achats dans la cuisine et revient en brandissant une bouteille de vin. « Devinez un peu ce que j’ai dégoté dans la boutique de Dave… Un Gato Négro de derrière les fagots. Ça ira parfaitement pour accompagner le poulet. N’en déplaise à John, pour qui un bon vin est forcément Français, les Chiliens ne sont pas en reste pour produire un véritable nectar.

— Si tu le dis… » Soupire John. « Va pour le Gato Négro, bien qu’il manque de finesse et n’arrive certainement pas à la cheville d’un Saint-Emilion. »

Sam éclate de rire et repart ranger les victuailles. Betty suit l’échange avec amusement mais garde un air sérieux.

 

La soirée passe rapidement et la nuit  vient rafraîchir l’air qui n’était déjà pas bien chaud. Les chiens sont rentrés pour leur repas quotidien : une grande gamelle remplie à ras bord de croquettes spécifiques que Sam paie un prix fou pour qu’ils gardent la forme le plus longtemps possible. Il commande des sacs XXL par Internet et les fait livrer chez Dave. D’ailleurs, en déversant les croquettes dans les gamelles, devant les chiens au garde à vous, il déclare devoir repasser commande dès ce soir pour ne pas se retrouver en pénurie. Les gamelles sont remplies et les deux Rottweilers attendent bien sagement que leur maître leur donne le signal de manger. Sam s’écarte et au moment où il claque des doigts, les chiens se ruent sur leur gamelle et les vident à une vitesse incroyable. Ils lèchent le fond un moment, boivent un peu d’eau et vont se laisser tomber au pied de la cheminée.

 

Sam s’est assis devant son ordinateur portable et se connecte à un site animalier pour commander deux sacs de croquettes de vingt kilos chaque. Betty s’approche de lui et lui demande chez qui il commande ses croquettes. Elle lui dit qu’elle donnera l’adresse du site à une amie qui a de gros chiens elle aussi. Il lui a semblé que Sam avait eu un sursaut en l’entendant. Sur l’écran, dans l’encadré « observations » Sam avait tapé URGENT-LIVRAISON ATTENDUE DEMAIN MATIN !

Betty éclate de rire : « Eh bien, vous leur mettez la pression ! Tout ça pour des croquettes… » Sam répond qu’il se venge pour la fois où sa commande avait mis cinq jours pour arriver et qu’il avait dû faire la cuisine pour ses chiens. « Je sais très bien qu’il ne leur est pas possible de livrer pour demain, mais quand j’imagine la tête de la personne qui lira mon commentaire, ça me fait un bien fou ! Les deux gros, là, après avoir goûté à ma cuisine, ils sont restés trois jours sans manger. Ils ne voulaient plus de croquettes. Et comme je suis un très bon client chez eux, ils ne m’en tiendront pas rigueur.» Malgré l’heure tardive, un BIP se fait entendre et un message annonce que la commande a bien été prise en compte. Betty émet un sifflement : « Ça, c’est ce que j’appelle du rapide. Ils sont sacrément réactifs sur ce site.

— Tu parles ! C’est un message automatique qui répond dès que la commande est validée et payée.

— Vous avez confiance dans le paiement en ligne ?

— Jamais eu de problème. J’utilise Paypal. C’est sécurisé. »

Alors qu’elle va rajouter quelque chose, Sam coupe la conversation en se levant prestement et en déclarant dans un large sourire qu’il est temps de cuire les pommes de terre avant de réchauffer le poulet.

Betty attend un moment près du PC et retourne dans le salon rejoindre John. « On dresse la table ?

— Oui. Bonne idée. Je repensais à ce que m’a dit le vieil indien. Je ne comprends toujours pas.

— Peut-être que ses sarcasmes n’en étaient pas. Ils étaient peut-être importants, autant que ses autres paroles. Essayez de vous les rappeler. On en reparlera demain dans la grotte. Mais pas ce soir, je vous le déconseille… Au fait, Sam a commandé de quoi nourrir ses bestiaux. Il a demandé à ce que la livraison se fasse demain matin. C’est drôle, vous ne trouvez pas ? Quel farceur ! Vous ne devez pas vous ennuyer avec lui… »

John reste un moment interdit. Sam farceur ? Ce n’est pas vraiment ce qui le caractérise. Surtout avec les inconnus. Il chasse ça de son esprit et rejoint la jeune femme près du vaisselier et ils dressent la table.

 

Le repas se déroule dans la bonne humeur et chacun échafaude une théorie à propos du sarcophage. Les regards insistants que jette Betty à John le mettent mal à l’aise. « On en parlera demain, mais pas ce soir, je vous le déconseille » qu’elle a dit. Il n’en parle donc pas. Sam est comme  d’habitude. Farceur ? Non, pas son genre. Qu’est-ce qu’elle essaie de faire ? Elle tente de les opposer ? Et dans quel but ? Est-elle sincère ou manipulatrice ? Elle semble se méfier de Sam à mots couverts. Pourquoi Diable ? Ou peut-être qu’il interprète mal ses propos ? Deviendrait-il paranoïaque ? Possible. Il en saura plus demain…

 

La nuit a été pénible pour John. Il l’a passée à tourner et virer sans cesse durant des heures et, quand le sommeil a enfin daigné l’envelopper, il a cauchemardé en se retrouvant face au vieux sage qui ne cessait de lui répéter la même chose : « Ecoute-moi bien John Cooper ! Ecoute-moi bien ! » Et quand il a prononcé : « Tu te comportes comme un aveugle !» John s’est réveillé en nage. Et la lumière s’est faite en lui. « Il lira son nom de sa main – tu te comportes comme un aveugle ! » Betty avait raison. Le vieil homme économisait ses paroles et ne parlait pas pour ne rien dire. L’image lui revient en mémoire des inscriptions étranges apparues quand la jeune femme avait approché sa main du sarcophage. John consulte sa montre : Cinq heures trente. N’y tenant plus, il se lève, enfile son caleçon et part s’enfermer dans la salle de bains. La douche brûlante finit de le réveiller et lui confère une énergie nouvelle. Ensuite, il se brosse les dents et se rase. Il ressort, une serviette nouée à la taille. En passant près de l’ordinateur de Sam, il remarque une alarme qui clignote sur la barre des tâches. John se dit que l’écran ne tiendra pas longtemps sans mise en veille automatique. Ce n’est pas son affaire, mais les propos de la veille tenus par Betty lui reviennent en tête. Il déplace la souris sans fil et clique sur l’icône de la messagerie et le dernier message s’affiche : « livraison prévue à 10h00. Tenez-vous prêt. Attendez le livreur avant d’ouvrir le sac. » Il vérifie que l’alarme silencieuse ne s’est pas effacée et referme la messagerie. Il se sent un peu honteux d’avoir fouiné dans la messagerie de Sam, mais trouve bien curieux le message envoyé par des vendeurs de croquettes. Persuadé que la paranoïa le guette, il oublie le message qu’il n’aurait pas dû lire et prépare la cafetière électrique. Ceci fait, alors que le café commence à goutter sous le filtre en dégageant des volutes chargées en arômes, il retourne dans sa chambre pour changer de caleçon et s’habiller. Vêtu de vêtements propres, il ressort sans faire de bruit et aperçoit Sam, assis devant son PC. « Bonjour Sam, du nouveau ? » Son ami referme en un clic nerveux sa messagerie. « Non, pas vraiment. Merci pour avoir préparé le café.

— Normal, j’étais le premier levé. Tu vas bien ?

— Oui, bien sûr ! Pourquoi cette question ?

— Probablement parce que moi, j’ai passé une mauvaise nuit. » Sam se détend en prenant une grande inspiration. « Eh bien je suis désolé pour toi, mais moi j’ai dormi comme un loir. »

 

Betty apparaît à son tour, les yeux gonflés par le sommeil. Elle se contente d’un faible « Salut » en passant et disparait dans la salle de bains.

Après un petit déjeuner quasiment silencieux, John attend près du pick-up, la ridelle est baissée. Il siffle et les chiens apparaissent dans l’encadrement de la porte. Ils tournent la tête vers l’intérieur de la maison et rentrent. Sam sort et prévient John qu’il préfère que les chiens restent sur la propriété aujourd’hui. John referme l’arrière du pick-up et Betty monte à l’avant. Sam ferme la porte à clef et grimpe à bord de son quatre-quatre.

Betty demande à John s’il n’a pas un mauvais pressentiment, mais il ne répond pas. Se contentant de conduire. Elle insiste : « Sam n’est pas celui qu’il prétend être.

— Comment pouvez-vous affirmer une telle chose ?

— Son comportement n’est pas net. Vous vous méfiez de moi, mais vous vous trompez de personne. Je crois que Sam renseigne quelqu’un sur ce que nous faisons.

— Vous avez des preuves ?

— Non. Juste un faisceau d’indices.

— Lesquels ?

— D’habitude, il se fait livrer par Dave car il ne veut pas rencontrer les autres habitants et hier soir, il est allé faire ses courses ? Il avait peut-être besoin de passer un coup de fil loin d’oreilles indiscrètes. Puis il commande en urgence des croquettes avec livraison ce matin alors que je sais qu’il a deux grands sacs d’avance. Un BIP l’a prévenu que sa commande a été prise en compte, mais Paypal ne s’est pas signalé pour confirmer le paiement. Et ce matin, les chiens ne nous accompagnent pas alors qu’ils sont censés garder les véhicules ? Ça commence à faire beaucoup, non ? »

John sent le malaise s’insinuer en lui. Betty ne raconte pas d’histoires et elle a raison ; ça commence à faire beaucoup. Surtout s’il prend en compte le message qu’il a lu ce matin. Finalement, Sam n’a peut-être pas vraiment raccroché ? A-t-il gardé des liens avec les forces spéciales ? Livraison à 10h00 – Attendre le livreur avant d’ouvrir le sac. Le sac ? Le sarcophage ? Et le livreur ? Services secrets ? Bon sang !

— Alors, quel est votre sentiment sur ce vieux Sam ? »

Les doigts de John se crispent sur le volant et, agacé, il crie : « Je n’en sais rien ! Il se peut qu’il ait des contacts avec les services secrets. Mais vous avez raison, là ! Vous êtes contente ?

— Contente ? Mais pas du tout ! Inquiète, oui ! Il va se passer quoi quand nous serons dans la grotte ? La cavalerie va débarquer et nous enfermer quelque part sur une base secrète ? Et Sam ? Il va nous aider ou nous empêcher d’ouvrir le sarcophage ? Il est peut-être armé ? Et si les chiens sont restés à la maison, c’est peut-être parce qu’il sait qu’il y aura des visiteurs ?

— Je ne sais pas… C’est possible. Il faut que je vous dise quelque chose… Cette nuit, j’ai compris ce qu’à dit le vieux sage. Lorsque vous avez passé votre main près de la surface du sarcophage, des inscriptions sont apparues. Ce doit être son nom. Il suffira de recommencer et alors de passer la main sur tous les signes de gauche à droite ou dans l’autre sens et le sarcophage s’ouvrira.

— Ok John, ça n’a pas l’air compliqué.

— Non, en effet, mais il faudra l’ouvrir avant 10h00. Après, ça risque d’être trop tard…

— Pourquoi dites-vous ça ? 10h00 ?

— J’ai mes raisons. De bonnes raisons. Croyez-moi.

 

Arrivés à l’endroit où ils s’étaient garés la veille, John et Betty descendent du pick-up, rejoints par un Sam qui semble tendu. John consulte sa montre. Sept heures quarante-sept. « Sam ? Tu es prêt ? On y va ! » Et il s’engage sur le chemin, suivi par la jeune femme et Sam ferme la marche. La descente le long de la paroi se fait sans encombre et ils franchissent le seuil de la caverne.

Arrivés tous les trois devant le sarcophage, John consulte à nouveau sa montre : huit heures trente. John s’approche du sarcophage et la voix de Sam retentit. « Ne fais pas ça John ! »

Il se retourne et demande : « Et pourquoi Sam ?

— S’il te plaît, on ne sait pas ce qui va sortir de là ! Il est peut-être capable n’anéantir toute l’humanité ? Je t’en prie, au nom de notre amitié, ne fais pas ça.

— Tu préfères que j’attende dix heures ? Pour que ton livreur de croquettes vienne nous aider ? »

En entendant ça, Sam a pâli et son visage s’est soudain durci. Sa main droite disparaît derrière son dos et quand elle apparaît de nouveau, elle enferme un revolver noir.

John secoue la tête : « c’est de ce genre d’amitié que tu parles Sam ? » en montrant l’arme de l’index.

— Tout ça, ça nous dépasse John. C’est plus grand que nous. Tu comprends ? Il faut que la NSA prenne ça en charge. Ils sauront l’analyser et la rétro-ingénierie nous fera faire d’immenses progrès.

— Nous ? Qui nous ?

— Les USA ! Ce qui se trouve ici appartient au gouvernement américain. C’est sur son sol.

— Tu as raison sur un point Sam, ça nous dépasse. Mais je crains que tu ne sois encore plus dépassé par les événements que tu ne le penses. » En disant cela, John se déplace lentement pour se positionner entre le sarcophage et Betty. « Ne bouge plus John. Je suis ton ami et je ne veux pas te faire de mal. Ne m’oblige pas à… » Le coup de feu est parti et la détonation a résonné dans la grande cavité. Sam a appuyé sur la détente quand John s’est jeté en avant sur lui en criant « Betty ! »  Il s’est effondré. Sam s’est agenouillé près de lui : « Merde ! John, pourquoi as-tu fait ça ? Je n’ai pas voulu te tirer dessus. John ? Tu m’entends ? » Un étrange bourdonnement emplit soudain la caverne. Sam se redresse et pointe son arme en direction de Betty qui s’est assise au sol. Elle presse ses deux mains sur son ventre et du sang coule entre ses doigts. Sam se précipite sur elle en poussant un juron. « Bordel ! Betty ! Qu’as-tu fait ?

— Sale con ! Tu m’as tiré dessus…

— Pas fait exprès… La balle a traversé John et t’a touchée. Je suis désolé. Ce n’était pas intentionnel. Mais pourquoi l’as-tu ouvert ? Il va se passer quoi maintenant ?

— On… On est venu pour ça. Pour le réveiller. Et s’il nous a créés, pourquoi voudrait-il nous anéantir ? »

 

Au fur et à mesure que le couvercle métallique glisse, une lumière vive sort du coffre et se répand dans la grotte. Une grande silhouette se lève, revêtue d’une combinaison brillante. Sam n’ose plus bouger, pétrifié par la peur. Il tient toujours son arme à la main. L’être sort du sarcophage quand de nombreux rayons lumineux pénètrent et balaient les murs de la grotte en provenance de l’entrée. L’être réveillé se penche sur Betty et pose une de ses mains sur le sommet de son crâne et l’autre sur sa blessure abdominale. Les mains de l’être s’éclaircissent, deviennent lumineuses et Betty perd connaissance.

L’être se retourne vers Sam en penchant la tête. Il lâche son arme et sa vessie se vide instantanément. L’être s’approche de lui en plissant les yeux et Sam s’effondre sans un cri, la bouche grande ouverte. Le cœur explosé dans sa poitrine. Il contemple le corps inerte de Sam et se penche sur celui de John qui respire encore. Comme pour Betty, Il pose ses mains sur sa tête et sur sa blessure au thorax, puis se relève et appuie sur un des boutons de sa combinaison, incrusté sur sa manche.

Les hommes vêtus de noir qui se préparaient à investir la grotte éprouvent alors une frayeur telle qu’ils rebroussent chemin si rapidement que l’un d’eux chute et disparait au fond du canyon en hurlant.

 

Quand Betty reprend ses esprits, elle porte instinctivement les mains sur son ventre et constate que la blessure a disparu et qu’elle ne souffre plus. Il y a pourtant du sang sur son blouson et ses doigts sont maculés de son fluide vital. Ses pensées s’embrouillent un peu. Mais ses souvenirs reviennent. Sam lui a tiré dessus, mais elle a réussi à… Que voulait-elle faire ? Oh ! Oui… Ouvrir le… elle se relève et découvre le sarcophage vide. Un grognement est émis devant elle un peu plus loin. Dans l’obscurité, elle avance à tâtons et trébuche sur quelque chose qui roule dans un bruit métallique. À quatre pattes, elle cherche l’objet et finit par refermer sa main sur un cylindre froid. Elle finit par allumer la lampe et découvre avec horreur près d’elle la face de Sam contre le sol, affichant une épouvantable grimace. Elle pousse un cri et recule instinctivement. Et puis ce grognement encore. Le faisceau de la lampe parcourt le sol un peu plus loin et c’est John qui apparaît dans la lumière.

« John ? John ? » Betty contourne le corps de Sam en évitant de le toucher. Cette simple idée lui soulève le cœur.

Elle secoue doucement l’épaule de John et il se contracte violemment. « John ?

— Betty ? Je ne suis pas mort ?

— Je n’en ai pas l’impression… Je crois que j’ai réussi à l’ouvrir.

— Super… Où est passé ce salopard de Sam ?

— Il est mort.

— Misère… Et Manitou ? Il est là ?

— Pas dans cette partie de la grotte. Le sarcophage est vide.

— Ben merde alors ! Je jurerais que Sam m’avait tiré dessus. Pourtant, je n’ai aucune blessure ?

— Il l’a fait. Et j’en ai profité moi aussi. La balle vous a transpercé et m’a frappée au ventre. Mais comme vous, je n’ai plus de trace de la blessure.

— C’est lui qui… ?

— Je crois bien. Et je suis persuadée qu’il a tué Sam. »

 

John passe ses mains sur tout son corps et finit par déclarer que c’est un miracle. Puis il rallume sa lampe torche qui pendait à sa ceinture et demande à Betty de le suivre.

 

Ils passent devant les nombreux sarcophages gris et pénètrent dans la dernière salle ; celle qui abrite la ville et l’estrade avec ses deux pylônes. L’être est en bas, un bout de métal doré dans sa main gauche. John confie tout bas à Betty : « C’est un géant ! » Ils courent jusqu’à lui et s’immobilisent quand il se retourne pour les regarder droit dans les yeux. L’être semble sourire et prononce : « Joncoper ». John en reste bouche bée. En posant son regard sur Betty, il articule : « Betini ». Ce qui la fait fondre en larmes. Il leur montre le morceau de métal doré et John s’exclame « Il était dans le sarcophage près de lui ! ».

L’être les observe attentivement pendant un moment et leur montre la sortie de la grotte. Il agite ses doigts comme pour les chasser gentiment. En prononçant doucement un « Boum ». Comprenant ce que s’apprête à faire l’être, ils reculent d’abord puis s’enfuient chacun de leur côté. En empruntant chacun une rue différente. Betty appelle : « John ? » Et John répond en haletant : « Courez ! ».

Il la rattrape à la sortie de la grotte. Et ils remontent aussi vite qu’ils le peuvent pour prendre place dans le pick-up et démarrer en trombe pour s’éloigner le plus vite possible du bord du grand canyon. « Où allons-nous ? » demande Betty.

— Chez les navajos. Nous devrons ensuite aller chez Sam libérer les chiens et j’ai des affaires à récupérer. Toi aussi, il me semble… Oh, pardon. Vous aussi.

— Pas de problème. Tu peux me tutoyer. Après une résurrection, je crois qu’on peut se le permettre. Non ?

— Si. C’est même conseillé par le Vatican. »

Quelques minutes plus tard, une détonation retentit dans l’air, couvrant le ronronnement du moteur. Puis une terrible onde de choc secoue le véhicule. John et Betty se regardent.

John commente : « Il est reparti chez lui. Et il ne reste plus rien.

— Probablement. Dis… Pourquoi as-tu choisi un autre chemin que le mien pour sortir ? J’ai pris au plus court.

— J’avais un truc à faire avant de quitter définitivement l’endroit. » Disant cela, il fouille dans la poche de son blouson et en ressort le petit cadre, la petite visionneuse qu’elle avait consulté lors de sa première incursion dans la grotte.

— John ! S’il s’en était rendu compte…

— Il le savait… Et il était d’accord. Sinon, il m’en aurait empêché. Et puis… C’est important les souvenirs, non ? Et je préfère garder ça comme souvenir du grand canyon qu’un des colifichets que fabriquent les Navajos, non ?

— Il n’y a pas photo…

 

 

Quand ils sont arrivés dans la réserve, ils ont appris que le vieux sage avait rejoint le territoire des ombres.

John et Betty (Bethany de son vrai prénom) vivent ensemble. Ils ont fait don au musée Navajo de la peau recouverte d’inscriptions. Le directeur du musée à eu l’air sceptique en l’examinant. Il a demandé à Betty qui s’y était rendue seule (John étant trop connu) de quand datait cette pièce étonnante et elle a répondu que seules des analyses au carbone quatorze pourraient le renseigner. Mais qu’il serait certainement très surpris par son âge… Et par l’histoire qu’elle raconte. Et pour finir, si le musée détenait un trésor, c’était certainement ce rouleau de cuir.

 

À la radio, les journalistes ont parlé du séisme de magnitude quatre qui avait retenti dans l’Arizona et dont l’épicentre se situait au niveau du grand canyon. De nombreux « spécialistes » sont intervenus sur les chaînes d’information pour expliquer les raisons d’un tel événement. D’autres sont venus les contredire à grands coups de schémas, d’ondes enregistrées et de cartes géologiques.

Sur le Net, Des photos font actuellement le Buzz. Il s’agit d’un vieil artefact, propriété du musée Navajo. Il serait, après analyse vieux de deux millions d’années. Le directeur du musée ignore l’identité de la donatrice et affirme qu’il s’agit du plus vieil objet Navajo qu’on n’ait jamais trouvé.

Beverly Chase a écrit sur son site que l’histoire dépeinte sur le fameux morceau de cuir était trop bien faite pour être authentique. Elle n’a jamais reçu autant de commentaires et d’injures depuis l’ouverture de son site. La plupart des intervenant lui assènent qu’elle ne sait pas de quoi elle parle. Ce qui l’amuse beaucoup…