LE GRIMOIRE

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LE GRIMOIRE
NOUVELLE FANTASTIQUE

LE GRIMOIRE

 

Grimoire, mon beau grimoire…

 

 

 

Dans les années soixante-dix, je fis la connaissance d’une écrivaine de grand talent…

Maryse Queffelec était la dernière génération des Queffelec, ancienne noblesse bretonne et vivait dans le manoir familial, en Finistère, près de la côte dans les environs de Porspoder. Fille unique, elle avait hérité de la totalité des biens et n’avait pas besoin de travailler pour vivre.

Elle était sensible, raffinée, subtile, instruite et dotée d’une rare intelligence. Son tempérament l’avait dès son plus jeune âge amenée vers les lettres. Elle écrivait beaucoup et versait aussi bien dans la poésie que dans la rédaction de romans.

Son physique ne cadrait pas vraiment avec sa personnalité : très petite et ronde, elle surprenait ceux qui la rencontraient pour la première fois et qui avaient tendance à la sous-estimer; elle les éblouissait par sa culture et sa vivacité d’esprit. Bon nombre d’hommes qui la déconsidéraient à priori et osaient gloser sur son apparence ont eu à souffrir d’une forte déconvenue lors d’échanges en public. Maryse, de son prénom savait se montrer incisive en pareil cas et les importuns battaient vite en retraite, humiliés sous les rires des témoins habitués depuis  longtemps à ce genre de scène et piaffant d’impatience en attendant l’estocade finale.

Maryse Queffelec s’était mariée sur le tard, sans doute en raison de son physique qui n’attirait pas les Don Juan des alentours, et aussi par son caractère peu commun qui en effrayait plus d’un.

Elle avait épousé Jean Quemeneur, un homme mûr, au caractère doux et agréable qui avait été séduit par son esprit et sa franchise. Il tenait une boutique de chasse et pêche qui marchait très bien l’été.

Maryse avait imposé comme condition à leur union de pouvoir conserver son nom de jeune fille, ce qui, à cette époque paraissait comme une hérésie, une transgression. Son mari n’y voyant pas d’objection, et le maire connaissant parfaitement le tempérament de Maryse, la condition fut acceptée.

Maryse Queffelec adressait régulièrement ses manuscrits aux maisons d’éditions parisiennes, en vain; elle recevait quelques semaines plus tard une lettre polie et désolée.

Pensez donc ! Une femme et une bretonne en plus… Pourtant, ses romans étaient excellents et son style très agréable.

J’ai connu Maryse lors d’un colloque à la mairie de Brest. Le hasard a voulu que je me retrouve assis à côté d’elle durant l’événement.

Le sujet était celui de la place de l’âme et de sa consistance.  L’orateur était un homme guindé qui ne se prenait pas pour la queue de la cerise… Il semblait mépriser l’auditoire et se montrait fort condescendant envers ceux qui lui préparaient l’estrade et lui adressaient la parole.

Je n’avais pas prêté beaucoup d’attention à ma voisine, sinon que j’avais remarqué sa petite taille. Jusqu’au moment où tout bas, elle émit un : « C’est vraiment n’importe quoi… Comment pourrait-on évaluer, peser un concept, une idée, l’immatériel ? »

Surpris et amusé à la fois par cette remarque qui traduisait au même moment mes pensées, je lui répondis sur le même ton en cachant ma bouche de ma main : « Quand on manque d’esprit, on n’a de cesse que de peser celui des autres… »

Maryse a pouffé de rire dans son mouchoir; heureusement, nous n’étions pas assis au premier rang.

La séance a duré un bon moment, trop longtemps à mon goût, pour entendre de pareilles inepties ridicules.

Quand le calvaire fut terminé, nous sommes sortis en hâte de la salle pour nous éloigner au plus vite de cet orgueilleux idiot qui semblait fort satisfait de sa performance et que quelques uns avaient consenti à applaudir. Par charité chrétienne pour la plupart, j’imagine ou par bêtise pour quelques uns.

Je me suis présenté : « Mademoiselle, Je m’appelle Yann Kerdreux, je réside à Brest et je suis peintre inconnu et accessoirement employé de banque ».

Elle m’a répondu en souriant : Moi c’est Madame… Maryse Queffelec de Porspoder, créatrice en histoires aussi inutiles que variées… Et rien d’autre ».

Nous avons devisé un moment, à propos de ce que nous venions d’entendre lors de la séance et j’ai osé l’inviter à boire un café dans un des bistrots du coin. C’est sur la gentilhommière que notre dévolu s’est posé. Là, elle m’a raconté sa vie, son goût pour l’écriture et ses déconvenues pour se faire éditer. Je lui ai avoué que mes toiles n’intéressaient personne mais que la peinture était toute ma vie. Puis, nous avons conversé un bon moment, sur tout et n’importe quoi. Nous avons fini par échanger nos adresses et nous nous sommes quittés.

Une semaine plus tard, j’ai reçu un paquet par courrier. L’enveloppe contenait un manuscrit et une carte sur laquelle Maryse avait écrit : « Yann, je vous adresse mon dernier manuscrit afin de m’enquérir de votre avis. Je vous donne rendez-vous dans une semaine, mercredi à 14h00, chez moi pour en discuter, si vous le voulez bien ».

Le roman intitulé « TERRES D’OMBRES » était fascinant, prenant, d’une grande esthétique et il envoûtait. Comment un tel écrit pouvait-il rester inconnu du public ?

Une semaine plus tard, je sonnais à la porte du manoir; une grande et magnifique bâtisse très longue toute en pierres apparentes et entourée d’un magnifique jardin parfaitement entretenu avec de jolis parterres fleuris, des auges en granite et quelques arbres en bonne santé.

J’attendais à la porte avec l’une de mes toiles que j’estimais la plus réussie, enveloppée de papier kraft sous le bras et le manuscrit de Maryse dans la main.

C’est son mari, Jean qui m’a ouvert. Un homme jovial et bien portant aux épaules larges. Il souriait en me jaugeant : Yann ?

_ Oui Monsieur, j’ai été invité par votre épouse.

_ Oui. Je sais. Entre mon ami. Appelle-moi Jean s’il te plait.

Jean m’a invité à le suivre dans un grand salon un peu sombre malgré l’heure et le soleil qui brillait dehors; les manoirs bretons n’étant pas dotés de grandes fenêtres.

La pièce était richement meublée d’un vaisselier, d’un grand buffet, d’un canapé et deux fauteuils en cuir écru, d’une table monastère encadrée par deux bacs garnis de velours pourpre, d’une commode et de plusieurs guéridons supportant de belles et  généreuses plantes vertes dont des fougères luxuriantes; le tout dans le magnifique style breton. Des statuettes en granite reposaient ici et là sur des napperons en dentelle et quelques tableaux anciens enrichissaient les murs blancs. Une immense  cheminée toute pierrée, garnie de ses grands chenets occupait une place principale sur le mur du fond.

L’endroit était agréable et confortable; on sentait que le lieu avait une histoire et il dégageait une ambiance chaleureuse.

A mon arrivée, Maryse s’est levée de son fauteuil : « Entrez Yann, entrez. Vous avez fait la connaissance de mon mari. Vous êtes ponctuel; c’est une grande qualité. Venez vous asseoir et… Qu’avez-vous sous le bras ? »

_ Eh bien, pour vous remercier de votre confiance, je vous ai apporté une de mes meilleures toiles en cadeau. Ça ne vaut pas un clou, bien sûr, mais c’était ma préférée.

_ C’était ?

_ Oui. C’était car elle est désormais la vôtre.

_ Voyons voir ça… Maryse déchire l’emballage et dévoile la toile. « Grands dieux ! Mais c’est magnifique ! Regarde Jean… On ne peut pas accepter. Vous pourriez en tirer un bon prix, persévérez, trouvez un agent, exposez dans une galerie ou dans les commerces pour vous faire connaître ».

_ J’y penserai… En attendant, je vous l’offre en gage de mon amitié. Vous me froisseriez en la refusant.

_ Soit ! Vous avez un sacré talent. Mon petit doigt me dit que bientôt, il sera reconnu… Venez vous asseoir et parlez-moi un peu de mon manuscrit. Qu’en pensez-vous ?

Notre entretien a duré des heures et quand je suis reparti, l’après-midi touchait à sa fin.

Notre relation est devenue épistolaire; nous échangions une fois par semaine. Au fil du temps, j’ai remarqué certains changements, d’enjouée et positive, sa prose est devenue plus sombre et énigmatique, évoquant des mystères, des possibilités cachées et au bout de quelques mois, elle a cessé de m’écrire. Sa dernière missive évoquait l’âme et son importance…

De mon côté, j’ai continué à lui écrire, pensant qu’elle vivait une période d’abattement passager. J’ai aussi écrit à son mari qui ne m’a pas répondu.

Le temps a passé, j’ai continué à peindre et l’idée d’exposer dans les commerces comme les crêperies s’est avérée judicieuse car j’ai vendu quelques toiles. Pas cher au début et les prix ont un peu augmenté au fil du temps. Ce n’est pas la gloire, mais c’est encourageant et ça donne du sens à ce que je fais.

Concernant ma relation avec Maryse, elle était au point mort et n’ayant plus de nouvelles depuis des mois, j’ai fini par cesser de lui écrire. J’ai imaginé que dans l’une de mes missives, j’avais dû écrire quelque chose de déplacé ou bien qui l’a froissée. L’idée même me rendait honteux. Je culpabilisais.

Il y a trois semaines, en rentrant dans mon appartement, j’avais une lettre dans ma boîte. Une lettre de Jean qui me suppliait de passer les voir au plus tôt…

Je m’y suis rendu le lendemain. Le jardin était en friche.

Quand la porte du manoir s’est entrouverte, avec le visage de Jean en retrait dans l’encadrement, j’ai ressenti un choc. Jean était amaigri, son visage pâle et gris; ses yeux étaient mangés par les cernes. Il avait l’air anxieux, semblait avoir peur. Il a rapidement regardé à droite puis à gauche pour vérifier si j’étais bien seul avant d’ouvrir la porte en grand et me laisse entrer.

Il a vivement refermé la porte derrière moi et m’a saisi par les épaules : Merci ! Merci d’être venu ! Je ne sais plus quoi faire… Je suis complètement dépassé… J’ai peur. Comprenez-vous ? J’ai peur !

La maigreur de Jean faisait peine à voir, mais ce sont ses yeux qui inquiétaient le plus. J’ai de suite pensé que l’homme avait perdu la raison. Je me demandais si j’avais bien fait de venir quand il a dit tout bas : Elle est à l’étage, je crois… Parlez doucement. Venez dans le salon que je vous explique notre situation… Venez…

Jean m’a proposé un fauteuil est s’est assis dans le canapé. Je me suis rendu compte que l’ambiance de la pièce n’était plus la même; aucune chaleur, les plantes étaient toutes mortes,  desséchées et une épaisse poussière recouvrait les meubles. Il régnait une odeur de renfermé, de moisissure. L’ambiance était pesante.

_ C’est horrible Yann ! Elle a changé… Ce n’est plus la même. Tout ça à cause de ce satané grimoire !

_ Un grimoire ? Quel grimoire ?

_ Peu après votre passage ici, Maryse a décidé d’arrêter d’écrire; à force d’essuyer des refus de la part des éditeurs, elle a laissé tomber. Quelque chose s’est cassé en elle à ce moment-là; elle est devenue triste et s’est assombrie de jour en jour. Elle a cessé de vous écrire mais vous lisait toujours. Elle attendait votre courrier hebdomadaire et je crois que ça la maintenait… Mais elle refusait de vous répondre en arguant que son écriture n’intéressait personne. Elle m’a même interdit de vous répondre.  Et puis un jour, elle a semblé retrouver de l’énergie après s’être rendue à la bibliothèque de Brest et ensuite, elle est partie pendant deux semaines. J’ignore toujours où elle est allée.

Quand elle est revenue, elle serrait contre elle un vieux grimoire qui semblait dater d’avant le déluge. La couverture était en vieux cuir écorné, râpé et les feuilles n’étaient pas en papier mais faites en une peau très fine. Le tout se refermait avec un système métallique. L’encre noire semblait avoir été déposée à la plume d’oie. Une antiquité.

_ Le grimoire avait-il un titre ?

_ Je l’ignore. Je n’ai fait que l’apercevoir. Elle s’est rapidement enfermée dans sa chambre avec et je ne l’ai plus revu depuis. Il est là-haut… Vous devez penser que je suis devenu fou ? Ce ne serait pas étonnant… Je ne ressemble plus à grand-chose…

_ Que s’est-il passé ensuite ?

_ Au début, elle a retrouvé une certaine joie de vivre, une excitation qui me rassurait. Elle m’a même expliqué que désormais, elle s’intéressait à l’ésotérisme et que le grimoire était un véritable puits de science. Elle a même plaisanté en pariant qu’il devait bien avoir eu quelques sorcières parmi ses ancêtres… Elle m’a assuré que le grimoire allait lui apporter beaucoup, que je devais être patient. Et au fil des jours, elle a à nouveau changé… Elle n’était plus abattue, non. Elle était devenue combative, agressive et son humeur noircissait de jour en jour… Elle consacrait ses journées et probablement ses nuits à l’étude du grimoire, ne quittant sa chambre que pour manger, ses besoins naturels et se laver. Pendant un temps… Car depuis une semaine, elle est cloîtrée en haut.

_ Pourquoi n’êtes vous pas monté la voir ?

_ Eh bien… A cause des cris rauques, des grognements de bête et les longues plaintes sans oublier le vacarme qu’on entend souvent. Je crois que tout est détruit là-haut. Tous les meubles doivent être pulvérisés. Et il y a quatre jours, avant que je me décide à vous écrire, toute la maison a tremblé et on entendait Maryse rire comme une démente. Sa voix recouvrait le grondement qui parcourait les murs.

_ J’avoue avoir du mal à croire tout cela…

_ Je comprends, mais attendez qu’elle se manifeste un peu; et vous serez bien obligé d’y croire.

_ Et qu’attendez-vous de moi ? Qu’est-ce que je peux bien y faire ? Je ne suis pas médecin !

_ Elle vous connaît et vous tient en haute estime. Je pensais qu’en montant tous les deux, on arriverait peut-être à la calmer ?

_ Comme vous y allez ! Si Maryse s’est transformée en furie, je ne suis pas sûr de vouloir la rencontrer…

_ Vous ne pouvez pas me laisser seul avec elle dans cet état. Je vous en supplie. Aidez-moi !

Soudain, le silence de la maison a été brisé par un cri aigu et terrifiant d’une puissance épouvantable ! Les meubles ont bougé et les miroirs se sont fissurés. Le cri s’est tu et une énorme explosion a retenti. Ensuite, un silence surnaturel nous a enveloppés dans la terreur.

Nous nous sommes regardés et nous nous sommes levés pour bondir à l’étage.

La porte de la chambre de Maryse était entrouverte et tout semblait calme à l’intérieur. Alors que nous approchions du seuil, Maryse est apparue, ses pieds ne touchaient pas le sol, pâle et souriante, tête baissée et vêtue d’une chemise de nuit blanche immaculée. Ses cheveux semblaient flotter dans les airs. On aurait pu croire qu’elle se trouvait nageant dans une eau transparente.

Elle est redescendue lentement et ses cheveux sont retombés sur ses épaules

_ Eh bien voilà. J’ai terminé de lire le grimoire. Bonsoir Yann, comment allez-vous ? Heureuse de vous revoir… Il s’en est passé des choses depuis votre visite. Vous ne pourriez imaginer à quel point…

Jean s’est laissé tomber à genoux : « Ma chérie ! J’ai cru que je t’avais perdue… Mon Dieu ! Comme j’ai eu peur de te perdre. »

Maryse est restée impassible et a aidé Jean à se relever : Qu’est-ce que c’est que cette mine de déterré ? Tu t’es vu ?

Descendons, voulez-vous ? J’ai très faim et je donnerais cher pour un grand verre d’eau !

Autant Jean semblait se réjouir  de la situation et laissait éclater sa joie, les larmes coulant sur ses joues, autant je restais circonspect, ne disant mot.

Nous sommes descendus et Maryse s’est aussitôt affairée en cuisine en chantonnant un air joyeux. Nous tournant le dos.

Jean pleurait à chaudes larmes et remerciait à voix haute le Seigneur.

_ Dites-moi Yann, resterez-vous dîner avec nous ? J’imagine que vous vous posez une foule de questions à propos de tout ceci. N’est-ce pas ?

_ Je veux bien rester. En effet, j’aurai quelques questions à vous poser.

Avec Jean, nous avons dressé la table après l’avoir dépoussiérée. Jean a allumé des bougeoirs et nous nous sommes attablés.

Maryse avait cuisiné une magnifique tourte en un temps étonnamment court; ce qui m’avait bien intrigué.

Au moment où elle tendait une part de tourte dans ma direction, toujours les yeux baissés, j’ai prétendu n’avoir finalement pas faim; en raison des événements. Maryse a souri sans me regarder.

Jean a rapidement englouti sa part et en a repris une deuxième.

J’ai attendu qu’ils aient terminé de manger pour m’adresser à Maryse : Qu’avez-vous donc fait durant tout ce temps avec ce grimoire ?

Toujours sans me regarder, le nez dans son assiette, elle a répondu : J’ai étudié le grimoire. Je l’ai lu de A à Z de l’Alpha à l’Oméga. J’en ai parcouru tous les arcanes et m’en suis montrée digne.

_ Digne ? Comment ça, digne ?

_ Ce grimoire n’est pas un livre comme les autres. Et il a été écrit par une femme. Ce que beaucoup ignorent… Il date des temps anciens, à une époque où les Dieux vivaient parmi les hommes. Il est fait de cuir et de peau humains. La peau d’hommes et de femmes qui ont offert une partie de leur épiderme pour sa confection.

_ Dites donc ! Ce n’est pas commun… Comment l’avez-vous trouvé ? Il a dû vous coûter une fortune ?

_ C’est plutôt lui qui m’a trouvé. Il m’appelait, comprenez-vous ? Et il ne m’a rien coûté. Il m’a été offert par… La providence.

_ Que vous a-t-il apporté ?

_ La connaissance ! Une connaissance infinie et précieuse. Il… Il m’a transformée… Il a changé mon âme.

_ A quel point ?

_ C’est très personnel…

_ Essayez d’expliquer un peu.

_ Non. Vous n’êtes pas prêt…

Jean était resté assis sans bouger, silencieux, un large sourire béat aux lèvres. Il n’a pas quitté sa femme des yeux. Comme un caniche regarde son maître.

_ Maryse… Voulez-vous bien me regarder droit dans les yeux ?

_ Non. Je ne le souhaite pas…

_ Pourquoi ?

_ N’insistez pas. Vous êtes mon ami et je tiens à ce que vous les restiez. C’est mieux comme ça.

_ J’insiste Maryse. J’insiste… Regardez-moi Bon Dieu !

Elle a alors levé la tête, rouge de colère : Satisfait ?

Je n’ai pu retenir un mouvement de recul en découvrant ses yeux ! Ses globes étaient complètement noirs comme des billes d’onyx. On distinguait comme une fumée qui évoluait à l’intérieur.

_ Maryse ! Vos yeux… Qu’avez-vous fait ?

_ C’est passager et ça ne va durer que quelques jours. C’est la fin du processus.

_ Quel processus ?

_ Je vous ai dit que le grimoire m’avait transformée.

_ Mais est-ce toujours vous qui se tient en face de moi ?

_ Qui voulez-vous que ce soit d’autre ? Un démon ? Non. C’est bien moi. Quelque peu augmentée si je puis dire.

Le grimoire apporte la connaissance, donne des pouvoirs, de nouvelles facultés. Il est brut, ni bon ni mal. C’est ce que les gens en font qui est bien ou mal, c’est ce qui donne la magie blanche ou la magie noire. Je ne suis pas mauvaise et ne me servirai jamais de mes pouvoirs pour faire du mal. Soyez-en assuré.

_ Vous évoquez des pouvoirs. Quels sont-ils ?

_ Cramponnez-vous à votre chaise…

Quand elle eut dit ça, ma chaise s’est doucement élevée dans les airs en s’écartant de la table et j’ai ainsi, à un mètre du sol, fait le tour de la pièce pour enfin retrouver ma place.

J’ai entendu un wouff ! Dans mon dos et la cheminée s’était illuminée d’un grand feu. Ensuite, la vaisselle et les couverts posés sur la table se sont soulevés et se sont mis à se promener entre nous en une sorte de joyeuse sarabande. Je n’en croyais pas mes yeux.

_ Etes-vous satisfait Yann ? Ou dois-je faire apparaître une licorne ?

_ Ça ira bien comme ça… Et Jean ? Que lui avez-vous donc fait ?

_ Rien de méchant, rassurez-vous. Il verra la vie en rose durant quelques jours, pour qu’il puisse se remettre de ses frayeurs et se remplume. Le pauvre en a eu plus que son compte ces dernières semaines.

_ La tourte… C’est ça, hein ? C’est la tourte qui l’a rendu comme ça ?

_ Je n’ai pas besoin de philtres ni de potions pour agir, Yann… Mon esprit suffit. Jean se remettra vite de tout ça et nous en discuterons ensemble. Il sera libre de ses choix.

Maintenant, écoutez-moi attentivement : Vous connaissez mon secret et vous avez deux choix qui se présentent à vous. Soit vous en faites étalage et notre amitié en sera brisée à jamais et si je devais en souffrir, vous en souffririez aussi; soit vous gardez cela pour vous et nous restons bon amis et  vous n’aurez pas à vous en plaindre, je vous l’assure. Prenez le temps de la réflexion… Bien, je crois qu’il est temps maintenant de rentrer chez vous… Au revoir Yann et faites le bon choix; ne brisez pas notre amitié.

Je suis rentré chez moi, perplexe.

Deux jours plus tard, je recevais une proposition pour exposer mes toiles et depuis, elles se vendent comme des petits pains; au point que j’en ai quitté mon emploi à la banque pour ne plus me consacrer qu’à ma peinture.

Je n’ai jamais revu Maryse ni son mari. Nous échangeons par courrier tous les mois. J’ai ainsi appris que le manoir avait été vendu et qu’ils s’étaient établis à Paris.

Les rayons des librairies sont actuellement remplis d’un best-seller intitulé « TERRES D’OMBRES » écrit par un certain Jean Quemeneur qui fait fureur dans le milieu littéraire depuis quelques temps…

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