3I/ATLAS
Ecrit par Ludovic Coué le 27 octobre 2025
Quand le réveil a sonné ce matin, Johnny a ouvert les yeux et contemplé le plafond de sa chambre pendant un bon moment, réfléchissant à cette journée décisive pour lui. Une journée ensoleillée d’après la chaîne météo. Le jour de l’entretien tant attendu qui lui ouvrira peut-être un avenir prometteur.
Il s’est couché tard la veille, restant visionner les vidéos alarmantes évoquant les comètes 3I/Atlas et Swan qui ne seraient peut-être pas naturelles, mais de la technologie extraterrestre… Quelle connerie.
Et ce matin, seule ombre au tableau, une désagréable sensation dans son crâne, comme une vibration sous la plaque métallique que lui a valu son accident d’escalade survenu quatre ans plus tôt. Jusque là, sa protection était restée silencieuse, tellement discrète qu’il l’avait presque oubliée. Sauf quand il fallait passer un portique de sécurité ; là elle déclenchait une alarme et il fallait expliquer calmement au type à la main sur la crosse de son arme, en montrant la cicatrice dissimulée sous les cheveux, l’origine de la sonnerie.
Mais ce matin, cette désagréable vibration crânienne était quelque chose de nouveau et il lui faudrait en parler à son médecin.
Il s’est levé, a enfilé sa robe de chambre et ouvert le volet sur une clarté bien trop faible pour la saison. Il a maudit la météo et ses prévisions erronées puis s’est dirigé vers la cuisine d’où émanait une fragrance d’arabica distillée par la cafetière programmée. En traversant le salon, il a allumé la mini-chaîne HIFI sur sa station préférée ; celle qui diffuse des tubes des années cinquante à quatre-vingt. Quand le son est sorti, Chuck Berri lançait son intro à la guitare avant de s’égosiller sur son « Johnny be good » endiablé. Quoi de mieux que cette chanson pour entamer une journée joyeusement ? Et malgré la vibration inquiétante de son crâne, il s’est mis à entamer un twist lent très chaloupé avant de se ruer sur la cafetière à l’arôme envoutant.
Johnny a hésité à prendre un antalgique, puis s’est ravisé, craignant aggraver son problème dont il ignorait la cause. Et puis, ce n’était pas douloureux mais gênant. Rien à voir avec ce qu’il avait enduré après sa chute, même gavé d’opiacés, il souffrait atrocement. Et cette douleur lancinante est restée gravée dans sa mémoire. A tel point qu’il n’ose pas trop y repenser de peur de la réactiver. C’est idiot, mais on ne sait jamais, pas vrai ?
Après sa miction, il a foncé dans la salle d’eau. Chuck Berry chantait toujours son célèbre titre. Il a pensé que la radio passait une version longue puis s’est concentré sur le programme de la journée qui, à en juger par ce qu’il pouvait voir à travers ses fenêtres s’annonçait nuageuse.
Quand il est sorti de la douche, il a à nouveau entendu Chuck Berry sur le même air. Il a éclaté de rire en imaginant le type endormi sur son pupitre à la station de radio et le son passant en boucle. Quelqu’un arriverait bientôt en trombe pour lui secouer les puces. Pourtant, on aurait dû le réveiller depuis un moment, non ? Enfin… Il a allumé le poste de télévision pour découvrir un écran noir sur tous les canaux. Panne du système satellite? Décidément…
Johnny a stoppé la chaîne et a regagné sa chambre pour s’habiller. La vibration dans son crâne ne faiblissait pas, elle était constante. Une fois sorti de son appartement, il a eu la désagréable surprise de constater que l’ascenseur était à nouveau hors service. Il a donc descendu les quatre étages en empruntant les escaliers.
Une fois dehors, la chaleur de l’été l’a enveloppé alors que tout était sombre et… silencieux ? Il s’est arrêté net en bas de son immeuble, découvrant la rue figée. Tous les véhicules étaient à l’arrêt, vides, portières ouvertes. Où étaient passés tous ces gens ? Il se posait la question quand une jeune fille est passée devant lui en courant comme une dératée. Elle filait comme ces lévriers après un lapin dans les courses. Il a décidé de la suivre comme il pouvait, n’étant pas très sportif de nature. La coureuse semblait se diriger vers le parc et malgré ses efforts, elle le distançait. La vibration semblait s’intensifier dans son crâne et l’idée de faire un AVC lui a traversé l’esprit.
Un gros type dégarni en chemise cravate l’a doublé quand il tentait d’accélérer. Le gars soufflait comme un cheval au galop.
Il n’en pouvait déjà plus. Il s’est arrêté, plié en deux, les mains sur les hanches, cherchant l’air qui semblait lui manquer. Il a vu le gros coureur disparaître plus loin, toujours à courir son sprint étonnant.
Quand il a finalement retrouvé une respiration et un rythme cardiaque normaux, Johnny a levé machinalement les yeux vers le ciel et il a cru perdre connaissance et sa raison par la même occasion.
Au-dessus de la ville planait cette chose immense, sombre et hypnotique que rien ne pouvait qualifier. Un disque ? Un orbe ? Elle paraissait immobile et impossible d’évaluer sa taille, faute d’information sur sa distance. Mais de toute évidence, c’était colossal et silencieux et c’est son ombre qui plongeait la ville dans l’obscurité.
La stupeur passée, il a repris sa course à un rythme moins élevé pour se diriger vers le parc, site que semblaient vouloir rejoindre les deux personnes qui couraient si vite.
Il était en sueur et son col de chemise le gênait sans oublier ses cuisses qui brûlaient. Il s’est à nouveau arrêté et a posé son attaché-case et sa veste sur un bord de fenêtre après avoir enfoui son portefeuille et son portable dans les poches de son pantalon, défait sa cravate et repris sa course.
Il était encore loin du parc quand il a découvert la foule incroyable qui se massait dans les rues. Les gens semblaient se serrer les uns aux autres pour former une sorte d’essaim vibrant et presque silencieux.
La masse humaine piétinait et avançait lentement comme une procession religieuse.
Johnny s’est approché, désirant savoir ce qui se passait. Il a un peu joué des coudes et a réussi à pénétrer la foule compacte en posant des questions, mais autour de lui, les hommes, les femmes et les enfants ne l’écoutaient pas. Ils avançaient en piétinant, centimètre par centimètre, tous dans la même direction, le regard dans le vague. Il a progressé ainsi dans la vague vibrante, sentant qu’à chaque fois qu’il forçait le passage, la pression autour de lui augmentait. Conscient soudain du danger que cela pouvait représenter, il a décidé de rebrousser chemin.
Et là, maintenant il a beau tenter de toutes ses forces de sortir de la foule compacte, les corps près du sien le poussent, le compriment et le contraignent à suivre le mouvement, centimètre par centimètre, perdu dans cette foule immense vers un destin inquiétant.
Quand la foule, arrive sous le disque flottant sombre et majestueux malgré la peur qu’il engendre, les corps se soulèvent, flottent un temps et s’élèvent doucement dans les airs comme aspirés par l’engin. Les hommes, les femmes et les enfants n’éprouvent aucune crainte et subissent, dociles le mouvement qui leur est imposé.
Seul, au milieu de la cohorte obéissante, hurle un jeune homme qui tente de se dégager, conscient du danger et craignant ce qui l’attend là-haut, en vain…






















