EMANCIPATION

0
610
RUINE

« À l’aube de l’an 2422, je nous souhaite une vie plus agréable ; un peu d’eau potable, une nourriture digne de ce nom et enfin le rétablissement d’un semblant de paix afin que nos enfants puissent grandir. »

 

Ainsi avait parlé mon père, le chef du clan. Nous étions tous réunis autour du feu au beau milieu de notre grotte, dans les sous sols des ruines de ce qu’on appelait dans le temps un immeuble, d’après ce que racontent les artéfacts laissés par les anciennes civilisations.

Notre repaire s’appelle « PARKING » comme l’inscription antédiluvienne portée sur le mur du fond. Nous sommes le clan du parking ; c’est notre nom et c’est ainsi que nous appellent les autres.

Nous sommes parmi les mieux lotis car nous avons un toit et le chemin qui mène à notre grotte est tortueux et étroit ; cela nous protège des invasions brutales et massives.

Ici, la guerre est permanente. Pour la nourriture, car la viande est rare. Ainsi, il faut tuer ceux des autres clans pour se nourrir. Nous n’avons pas le choix…

Notre vie est triste car nous sommes contraints à rester dans les ruines, à nous battre pour conserver notre abri, pour la nourriture et l’eau qui tombe du ciel. Quant aux maladies, elles ne font pas de distinction de clan ; elles emportent chaque année leur quota de mâles, de femelles, d’enfants.

En dehors des ruines, point de salut ! C’est ce qu’on nous apprend depuis notre plus jeune âge. En dehors du périmètre autorisé, le danger rôde dans une verdure écœurante. Il paraît que là-bas, l’air n’est pas respirable et que l’on ne peut espérer survivre plus d’une heure. C’est du moins ce que racontent les vieux encore en vie.

C’est ce que j’ai cru pendant longtemps. Jusqu’à ce que mon père décide de me marier…

Je n’avais pas le choix, je devais m’unir à un mâle d’un clan voisin. Un clan plus riche que le nôtre.

 

Je me suis enfuie tard dans la nuit. Partie en silence, rampant hors de notre abri vers la verdure pour, pensais-je, y finir ma vie loin des ruines sombres et poussiéreuses où on me promettait une vie tellement médiocre. J’avoue que j’étais ambivalente, tiraillée entre mon passé, ceux qui me sont chers et l’attrait de l’inconnu tellement excitant. Mais en tant que fille du chef, je me devais d’être courageuse et aller de l’avant ; coûte que coûte !

À l’orée de cet océan vert à peine éclairé par l’astre de la nuit, j’ai pris une grande inspiration et je me suis enfoncée dans ce monde étrange et inconnu.

J’ai eu très peur, au bout d’un quart d’heure de marche, j’avais la tête qui tournait, l’air avait une curieuse odeur ; d’étranges créatures se déplaçaient dans les airs en poussant parfois de petits cris. Elles semblaient fantasmagoriques et m’effrayaient.

Je me suis endormie au pied d’un arbre gigantesque et c’est une lumière aveuglante qui m’a réveillée. J’étais prise de panique et je me suis réfugiée sous le feuillage, craignant de perdre la vue ou une mort atroce par brûlure. Mais je me suis habituée à cette lumière éclatante et j’ai parcouru beaucoup de terrain. J’ai remarqué que je respirais bien mieux que dans les ruines. Le contact de la végétation humide sur ma peau était un vrai délice. Il y a de l’eau ! Beaucoup d’eau ! Des mares immenses d’une eau claire ; il y a même de l’eau qui court et qui descend des collines. Les sons étaient étranges, provenant des hautes cimes ; des cris joyeux poussés par des êtres colorés qui semblaient pouvoir se mouvoir dans les airs. J’étais sous le charme.

 

D’autres sons bien plus étranges me sont parvenus plus loin et, piquée par la curiosité, je me suis dirigée en direction de leur origine. Plus je me rapprochais et plus je distinguais différentes sources sonores très nombreuses et différentes. De curieuses odeurs ont alerté mes sens ; des effluves que j’ignorais et qui me semblaient exotiques. Mon estomac a immédiatement réagi en protestant bruyamment : J’avais faim !

 

J’étais en train de me dire que nous vivrions bien mieux dans cet univers quand je les ai aperçus : Des bipèdes ! Comme ceux que l’on voit dans les artéfacts. Ils étaient si nombreux et avaient l’air tellement à l’aise et en parfaite santé ! Musclés et appétissants en diable ! Il y en avait de toutes sortes ! Des grands, des petits, des gros et des minces. Et d’où  je me trouvais, je pouvais remarquer que ces êtres paraissaient se diviser en deux catégories : l’une robuste et charpentée, l’autre plus chétive.  Je n’avais jamais vu autant de viande fraîche en une seule fois…

Je suis restée discrète, cachée sous les branchages et j’ai pris le temps de les sentir et de les écouter pendant un bon moment. Mon peuple pense cette race éteinte depuis plus de deux siècles. Je crois que j’ai trouvé la solution à mon problème ; je vais rentrer et expliquer aux miens ce que j’ai vu. Nous allons pouvoir vivre décemment dans cette verdure ; il ne s’y trouve aucun danger ; que du gibier !

Ainsi, je prendrai la tête du clan et ne me marierai que quand je le déciderai.

En attendant, avant de rejoindre les ruines et les miens, je me suis approchée d’une grande mare d’eau. J’avais très soif et les écailles très sèches. Je me suis baignée. J’ai découvert qu’en agitant la queue de gauche à droite, on pouvait avancer très rapidement dans l’eau.

C’est une nouvelle ère qui s’ouvre devant nous !