PAÏUTE

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PAIUTE
NOUVELLE FANTASTIQUE

PAÏUTE

 

 

Carson City, Etat du Nevada, poste de police, le 21 juillet 1996.

 

Enregistrement vocal du Sheriff Robert Stevenson : compte rendu des événements survenus après la nuit du 14 au 15 juillet 1996.

Carson city a subi le pire orage jamais connu de mémoire d’homme. La journée du 14 juillet n’était pas si chaude que ça… Pourtant, en fin d’après-midi, de façon inattendue, des nuages noirs se sont mystérieusement formés au-dessus de la ville. Une nuée  d’encre foncée, épaisse et menaçante a caché le soleil et plongé la cité dans une nuit électrique. C’était comme un couvercle sombre et opaque qui tournoyait dans le ciel.

Étrangement, il n’est pas tombé une seule goutte d’eau.

Vers dix-neuf heures, les éclairs ont commencé à jaillir de la masse ténébreuse qui se maintenait là-haut ; nombreux et puissants, ils éblouissaient la population terrifiée. La foudre a frappé la ville en de multiples endroits à maintes reprises et tout le réseau électrique est tombé. Des arbres et des voitures ont brûlé. Le tonnerre était si puissant que tout vibrait ; l’air, les murs et le sol.

Une demi-heure plus tard, les éclairs se sont concentrés sur le musée de la ville et ont provoqué une puissante explosion.

Après cette extraordinaire détonation qui a déclenché toutes les alarmes des banques, des magasins et des voitures, la foudre a cessé et la masse nuageuse a commencé à se dissiper pour disparaître en quelques minutes et permettre aux étoiles d’apparaître. Le tonnerre s’est tu et son vacarme a été remplacé par celui des sirènes hurlantes dans toute la ville.

Les pompiers sont intervenus pour éteindre les débuts d’incendie.

Avec mes deux adjoints : John Donohue et Slim Hobart, nous avons patrouillé dans toutes les rues. Aucun blessé, aucune perte humaine à déplorer. Uniquement des dégâts matériels.

Vers la fin de la patrouille, le directeur du musée a appelé le poste de police pour demander de l’aide. C’est Rosie qui était à la réception et elle nous a transmis l’information par radio.

Je me suis donc rendu au Capitole State Building pour me rendre compte des dégâts.

Paul Gibbs, le directeur m’attendait en bras de chemise dans le hall d’entrée. Il avait un extincteur à la main et son visage portait des traces de suie. Des gardiens s’affairaient à la recherche de nouveaux foyers d’incendie.

En arrivant sur les lieux, j’ai remarqué que de la fumée s’élevait encore du toit de l’édifice.

– Paul ? Quels sont les dégâts ?

– Une catastrophe ! Comment leur expliquer ça Rob ?

– Quoi donc ?

– La momie… Pulvérisée ! Atomisée ! Il n’en reste plus rien… Les païutes ne voudront jamais le croire. Viens voir.

Nous sommes montés au premier ; à l’étage consacré au musée, où se trouvait la momie : L’homme de la grotte aux esprits que réclament les membres de la tribu Païute-Shoshone de Fallon comme étant le plus vieux de leurs ancêtres.

En vertu de la Loi de 1990 votée par le Congrès, toutes les sépultures Amérindiennes auraient dû être restituées aux tribus ; c’est le NAGPRA. La momie ne devait pas faire exception, mais les scientifiques rechignaient à la rendre car c’était la seule momie vieille de neuf mille quatre cent ans aussi bien conservée qu’ils avaient à se mettre sous le microscope électronique…

Ce qui a déclenché un mouvement de protestation chez les Païutes, et un bras de fer s’en est suivi entre les Amérindiens et les scientifiques. Le tout relayé par la presse écrite et les médias télévisés.

Ce qui a cristallisé le différend, c’est le projet d’analyse de l’ADN de la momie des scientifiques qui risquait non seulement de battre en faux la filiation des Païutes-Shoshones, en révélant que l’homme en question viendrait d’Asie ou pire encore, qu’il s’apparenterait à une autre tribu éloignée… Mieux valait stopper les frais et laisser les Païutes rendre une sépulture indienne à celui qu’ils considéraient comme leur ancêtre.

A l’emplacement de la momie, il n’y avait plus rien. Il ne subsistait que des marques de brûlures au sol. Aucune trace non plus du support et du contenant. Au plafond, un trou d’une vingtaine de centimètres de diamètre aux contours noircis béait sous le ciel.

Les vitrines autour avaient toutes explosé sur un rayon de dix mètres. Il régnait dans la pièce une odeur d’ozone. Slim a pris des photographies.

– A part la momie, il ne manque rien ?

– Trop tôt pour le dire. Les artefacts des vitrines ont été éparpillés dans toute la pièce. Je te dirai ça demain Rob. On va dresser un inventaire dès demain matin. Quel bordel !“

Je ne pensais pas que la disparition d’une momie mobiliserait autant de monde. Le musée étant fédéral, Paul a dû prévenir sa hiérarchie. Et le lendemain, dans l’après-midi, deux vans noirs aux vitres teintées sont arrivés à Carson city et se sont garés devant l’établissement.

Six types en costume sombre en sont sortis, valise étanche à la main et ont débuté leurs investigations. Paul était dans ses petits souliers…

Une berline noire s’est garée devant le poste de police et un grand blond aux yeux clairs, en costume noir, doté d’une coupe à la brosse est entré en montrant sa plaque :  » Agent fédéral Smith. Enchanté Sheriff.

– Enchanté. Vous venez pour la momie ?

– Exact. Le directeur du musée prétend que la foudre l’a pulvérisée. Vous en pensez quoi ?

– J’en pense qu’un cadavre vieux de plus de neuf mille ans ne demande qu’à se réduire en poussière.

– Possible. Mais la caisse et le support ? Envolés aussi. D’après Gibbs, Il manque des artefacts.

– Pas au courant. Il devait faire son inventaire ce matin et m’en parler.

– Je sais. Mais comme il s’agit d’une affaire fédérale, ça ne vous concerne plus. Vous comprenez ? Washington suit cette affaire de très près. C’est sensible.

– Je comprends. Et finalement ça m’arrange. Pas envie de me mettre la tribu à dos… On a pris des photos hier soir, après l’orage ; les voulez-vous ?

– Oui. Tout ce que vous avez concernant la momie.

– C’est tout ce que j’ai la concernant.

– Avez-vous remarqué une présence inhabituelle des Amérindiens hier en ville ?

– Non. Mais si vous pensez qu’ils auraient pu faire ça, vous vous trompez. Ce n’est pas leur intérêt.

– Vraiment ? Expliquez-moi ça.

– Plus l’affaire de la momie dure, plus ils peuvent en parler à la presse et passer sur les chaînes de télé pour exposer leurs revendications, et se faire connaître davantage. Ne pas disparaître dans la conscience publique et, pourquoi pas, au fil du temps, récupérer du territoire.

– Ouais… Vous en connaissez personnellement ?

– Evidemment. Je les connais tous.

– J’aurai peut-être besoin de vos services alors…

– M’étonnerait. C’est une enquête fédérale. A ce qu’il paraît…

– Ok. Ok… Je retire ce que j’ai dit. J’ai eu tort de vous sous-estimer. Vous restez concerné par l’affaire. Ça vous va ?

– Non. Démerdez-vous avec eux. Je préfère rester à l’écart de tout ça. Selon moi, il ne fallait pas sortir cette momie de la grotte. C’est une offense de plus faite aux Amérindiens.

– On verra…“

 

Gibbs m’a informé en soirée que les fédéraux avaient passé le site au peigne fin et qu’il lui manquait le coutelas en silex et le tomahawk trouvés à l’origine dans la grotte près de la momie dans les années quarante : “ Rob… Je ne sais pas si je dois t’en parler… La porte de la sortie de secours était entrouverte.

– Tu m’en diras tant ! Fracturée ?

– Non. Justement… C’est comme si personne n’était entré mais que quelqu’un était sorti sans refermer complètement. C’est les fédés qui s’en sont aperçus. Ils pensent que les Païutes ont profité de l’orage pour récupérer la momie.

– Je n’y crois pas un seul instant. Ça irait à l’encontre de leur intérêt.

– C’est aussi mon avis. Mais je crois que ça arrange les fédés.

– Vont foutre le bordel ces cons. J’espère qu’ils sont toujours au musée ?

– Non. Ils sont partis à la réserve indienne.

– Et merde ! Il va bientôt faire nuit. Rentre chez toi… Slim ! John ! On file à Fallon ! Et en quatrième vitesse ! Allez !“

On est partis à tombeau ouvert dans le GMC vers les monts Stillwell et la rivière Carson à Fallon.

 

Quand nous sommes arrivés à la réserve, les fédés étaient en pleine conversation avec le Païutes. L’ambiance semblait tendue. Alvin Moyle, le représentant de la tribu gardait un visage fermé.

A notre descente du GMC, il est venu à notre rencontre :  » Sheriff ! Ces gens nous accusent d’avoir volé la momie du musée.

– Je sais qu’elle a disparu le soir de l’orage, Alvin. Sais-tu quelque chose à ce sujet ?

– L’orage, c’était le grand Esprit… Il a redonné vie à l’ancêtre. “

L’agent SMITH nous a rejoints à ce moment-là : « Sheriff ! Vous n’allez pas en croire vos oreilles ! Le grand Esprit aurait ressuscité la momie ! Rien que ça ! Et pourquoi le grand Manitou aurait-il fait ça ?

– Pour que l’ancêtre retrouve la paix dans une sépulture convenable.

– Et elle est où cette sépulture ?

– A cinq kilomètres plus loin dans le désert. Dans les grottes.

– Vous voulez bien nous accompagner là-bas ? J’aurais deux mots à dire à l’ancêtre…

– Non. Aucun Païute n’ira là-bas. C’est un endroit sacré. Et… Et l’ancêtre est très en colère.

– Oh ! En plus, il est en colère ?

– Vous les blancs, vous piétinez tout ce qui se trouve en dehors de vos propres croyances. Vous n’avez que le Christ, la vierge Marie, votre science et le dollar en tête. En dehors de ça, vous ne respectez rien. Vous nous méprisez depuis que vous avez envahi nos terres. Nous, nous savons que le grand Esprit existe et qu’il a ranimé l’ancêtre. Je vous déconseille d’aller à sa rencontre. “

Smith a éclaté de rire, il a secoué la tête, levé la main, décrit des cercles avec son index et les deux vans sont partis en trombe en direction du désert. Ainsi que la berline, une fois qu’il était monté dedans.

Avec Alvin, Slim, John et les autres Amérindiens, nous les avons regardés disparaître dans la poussière ocre du soir tombant.

– Ils viennent d’où ceux-là ?

– Washington, je présume… Des agents fédéraux.

– Washington ? C’est une bien longue route pour venir mourir dans le désert… N’y vas pas Sheriff. Il est fou de rage. Il va tuer tous ceux qu’il rencontrera sur son chemin et lui, personne ne peut le tuer ; il est déjà mort. “

Malgré l’avertissement d’Alvin, nous sommes tous les trois repartis à la poursuite des agents fédéraux à travers le désert. La nuit commençait à tomber. Et cette histoire de momie devenait complètement dingue. Je n’y croyais absolument pas. Les Amérindiens sont des gens superstitieux qui ont foi en des choses étranges.

Nous avons retrouvé les deux vans quatre kilomètres plus loin. Ils étaient vides.

Avec les lampes torches, nous avons suivi les traces des fédés dans le sable. La Lune n’éclairait pas beaucoup ; à peine un quartier ce soir-là. Et le désert était silencieux ; trop calme. Pas un coyote ne hurlait, aucun insecte ne stridulait.

On avançait le nez au sol pour suivre leurs traces quand un horrible cri a déchiré le silence. Un cri humain, un cri de douleur atroce, plus loin vers les rochers. Le cri a baissé en intensité. Des coups de feu ont immédiatement retenti, précédés de flashs dans l’obscurité. D’autres cris effrayants ont alors suivi.

Quand nous les avons rejoints, les agents étaient tous au sol, le crâne défoncé, égorgés, éventrés et scalpés; une expression de terreur figeait leur visage. Smith avait toujours son automatique à la main et ses entrailles débordaient de son costume noir et s’étalaient sur le sable. Son crâne avait été si violemment fracassé qu’un de ses yeux était sorti de son orbite et pendait sur sa joue.

En découvrant cela, John a vomi sur ses chaussures.

Nous avons relevé nos torches pour y voir un peu plus loin, plus haut.

Et nous l’avons aperçu dans le faisceau de nos lampes. Ce petit homme si maigre qui nous observait de ses yeux rouges, luisant malgré la lumière de nos torches. Il offrait un visage qui ne trahissait aucune émotion ; ses cheveux longs tombaient dans son dos. Il était debout, face à nous. Il tenait une hache dans une main et un grand coutelas dans l’autre. Les scalps dégoulinants pendaient à sa taille. Le sang brillait dans la lumière de nos faisceaux.

 La momie avait réellement repris vie et avait trucidé les fédéraux. Il semblait attendre notre réaction. Nous étions silencieux, indécis sur la suite à donner. Fallait-il tenter de l’attraper ou bien rester tranquillement où nous étions ?

Alvin avait dit qu’on ne pouvait pas le tuer parce qu’il était déjà mort. Mais sept cadavres sur le sable, peut-on laisser cela impuni ?

J’en étais là de mes réflexions quand la voix d’Alvin s’est fait entendre dans notre dos pour nous intimer tout bas l’ordre de ne pas avancer, nous avons tous sursauté.

Nous n’avons pas bougé. Alvin s’est placé devant nous, il a fait face à la créature qui nous regardait toujours. Il a prononcé des paroles dans sa langue ancestrale et a fait un geste de paix à son intention, en passant sa main droite devant lui de gauche à droite, paume face au sol.

L’être aux yeux rouges a répondu et a fait le même geste avant de repartir aussitôt en direction des chaos de rochers. Il courait à vive allure et semblait très léger. Il a rapidement disparu en direction des grottes.

– Vous me croyez maintenant Sheriff ?

– J’en ai bien peur…“

Nous avons récupéré les corps des défunts pour les empiler dans les vans et nous sommes rentrés à Carson city. Les dépouilles ont été entreposées à la morgue et nous avons déposé les effets personnels des défunts sur mon bureau, au poste ; c’est-à-dire leurs téléphones portables, portefeuilles, montres, etc.

 

Le lendemain matin, à huit heures, le téléphone de Smith a sonné. J’ai appris la nouvelle du décès de l’équipe fédérale à son chef de département.

Alvin est passé nous voir vers dix heures. Il voulait savoir comment allaient réagir Washington après un tel massacre. Il craignait que la boucherie soit imputée aux membres de sa tribu… Tous ces types éventrés, égorgés et scalpés, ça faisait très indien, non ? Je nourrissais les mêmes craintes que lui, mais nos trois témoignages innocenteraient les Païutes.

Les hélicos de l’armée ont atterri à Carson city en fin de matinée. Les camions sont arrivés plus tard et une foule de soldats a alors envahi les rues tranquilles de notre ville. Je me suis fait la réflexion qu’elle n’avait jamais été aussi verte…

Le colonel Mac Lane est descendu du premier hélico et nous a immédiatement rendu visite. Un grand type mince et grisonnant. Plutôt sympathique.

 Nous lui avons raconté par le menu ce qui s’était passé ; depuis l’orage jusqu’à la mort de Smith et de son équipe. Que les Païutes avaient tenté de les dissuader d’entrer dans le désert qui leur a été fatal.

Alvin lui a certifié qu’aucun Païute n’était mêlé à la mort des fédéraux.

Je lui ai, de mon côté, confirmé qu’ils étaient morts dans le désert à proximité des rochers, près des grottes. Leur sang devait toujours maculer le sable et si le vent ne s’était pas levé, les traces au sol prouveraient que nous disions la vérité.

Il nous a écoutés avec étonnement et, par chance, un de ses techniciens a analysé les cartes mémoire des téléphones des fédés et on a ainsi pu découvrir que Smith avait filmé la momie au moment où ils l’avaient approchée. On la distinguait très bien dans la lueur des lampes électriques; un être décharné aux yeux rouges, une arme dans chaque main.

Le colonel a demandé à voir les corps qui ont ensuite été enfermés dans des sacs mortuaires de l’armée et évacués à bord d’un hélicoptère.

Mac Lane m’a assuré qu’il n’avait aucun doute sur notre sincérité. Il a transmis son rapport à Washington. Deux heures plus tard, son téléphone de service a sonné et le ministère a été très clair dans ses injonctions : Retrouver et capturer la momie.

 

Ils sont tous partis depuis une semaine en direction du désert. Personne n’est encore revenu.

Hier soir, il m’a semblé apercevoir une ombre furtive aux cheveux longs courir dans les rues de Carson city ; une hache dans une main, un long coutelas dans l’autre.

J’écris ces pages au cas où il m’arriverait un malheur, car ce matin, en prenant ma permanence, j’ai trouvé la tête du colonel Mac Lane devant la porte du poste de police. Son crâne était fendu et son scalp avait disparu.

 

J’ai dans l’idée que la momie est encore très en colère…

2 Commentaires

  1. La cupidité des…..blancs!
    « Le Christ, Marie, votre science et…les dollars !  » Je peux réutiliser cette réplique. …elle se prête un peu, beaucoup. ..tous les jours!
    Je pense que lors des prochains orages ….je surveillerai. …l’ombre d’une momie aux cheveux longs, aux yeux rouges…