Coquecigrue
Mes très chers disciples ! Je reviens vers vous… Je sais, je sais. Je vous ai négligés depuis pas mal de temps et vous vous sentiez orphelins ! Mais votre très dévoué professeur Bourremou ne vous a pas oubliés. Que nenni ! Me revoilà !
J’ai dû m’absenter quelques temps car, comme vous les avez, je me suis installé en Amérique du sud et j’ai franchi depuis notre dernier cours quelques frontières. Ne me demandez pas pourquoi, ce ne serait pas prudent pour moi de vous répondre.
Je me suis fait de nouveaux amis et me suis lancé avec eux dans l’agriculture biologique afin de cultiver sur de grandes parcelles des plantes médicinales aux feuilles dentelées et parfumées qui ont comme vertu de détendre. La demande est importante et la culture est assez aisée en ces contrées. Ça pousse comme des champignons.
Me voilà devenu gaucho pour mon plus grand bonheur et celui de mon banquier qui n’en revient toujours pas ! Le bougre ne s’attendait pas à ce qu’un gringo comme moi devienne millionnaire en si peu de temps ! Le bio est très porteur en ce moment… On a notre propre label de qualité et ça se vend comme des petits pains un dimanche matin; et c’est tous les jours dimanche pour nous. En plus, on fait travailler pas mal de monde, alors nous sommes assez populaires. J’imagine qu’il doit y avoir encore des fauves dans la Pampa car ici tout le monde est armé. Du coup, moi aussi et tant pis pour les conventions de Genève.
Mais assez parlé de moi et revenons à votre édification scientifique si précieuse…
Aujourd’hui, comme il pleut comme vache qui pisse et à tel point que tout le monde est rentré et que la pluie provoque un vacarme assourdissant en tombant sur les toits faits de tôle ondulée, j’ai du temps devant moi et mon nouvel ami Ovidio Guzman, le fils de qui vous savez, et qui est rentré d’un long (séjour) voyage, m’a aimablement prêté son PC pour me permettre d’honorer notre séance rituelle.
Aujourd’hui, je vais vous instruire au sujet d’une pathologie réputée spécifique au Mexique : La Coquecigrue ! Je me doute que ce nom ne vous évoque rien de particulier et c’est bien normal puisque cette maladie n’a jamais été relevée sur le continent européen.
L’étiologie n’est pas bien établie et bon nombre de mes confrères se chamaillent encore à ce sujet ; certains affirment que c’est dû à un moustique endémique, d’autres arguent que les malheureux qui en souffrent doivent leur martyr à la consommation excessive de piments rouges combinée à l’abus de tequila et les derniers attribuent cette horrible chose à des parasites aquatiques !
Quoi qu’il en soit, parlons des signes : Aucun prodrome ! Les bilans sanguins, urinaires et fécaux sont normaux. Autant qu’ils peuvent l’être ici. Aucune fièvre, pas d’anorexie et le poids reste stable. Aucune altération des sens ni de la mémoire. C’est fou, non ?
Alors, me demanderez-vous, si les constantes sémiologiques ne varient pas, si aucun dérapage biologique ou bactériologique ne montre le bout de son nez, qu’est-ce donc que cette maladie ? Et en est-ce vraiment une ? Après tout, il serait bien légitime de vous poser ces questions.
Figurez-vous, mes agneaux, que certaines personnes par ici en sont atteintes et s’en passeraient bien, croyez-moi !
Ils s’en rendent compte un beau matin en s’asseyant sur un banc, en éprouvant une sorte d’inconfort ; vous voyez ? Ils s’assoient comme d’habitude sur le banc de la place pour discuter autour d’une bouteille de tequila ou dans l’église pour assister à l’office. Et… Ils remarquent un inconfort qu’ils n’avaient jusqu’alors jamais ressenti. Ils commencent à chercher une position plus confortable ; entament une danse ressemblant à du twist tout en chantant les cantiques, ce qui, vous avouerez, n’est pas conforme aux rites liturgiques dans la maison du Seigneur.
Les jours suivants et au fil du temps, le problème s’accentue et les pauvres se font remarquer par leur instabilité sur leur banc. Certains cherchent à s’adapter en apportant un coussin, mais le stratagème ne fonctionne qu’un temps. Las, ils finissent tous par bouder le rendez-vous pastoral et dominical.
Que se passe-t-il donc dans leur corps pour que ces brebis s’égarent ainsi ? Figurez-vous qu’ils fondent… Oui, ils fondent ! Du fondement si je puis m’exprimer ainsi, sans paraître un tant soit peu vulgaire. Les muscles fessiers s’atrophient et, je puis vous l’assurer pour les avoir auscultés de près (oui, c’est un sacerdoce !), les fesses se rabougrissent et perdent leur aspect lisse et rebondi pour finir en peau de figue avec un aspect de vieux cuir grenu. On dit alors que les muscles et la graisse ont grué ! Gruer signifie que la consistance est comparable à celle du gruau; comme c’est plaisant ! Vous rendez-vous bien compte de ce que peuvent endurer ces malheureux et surtout ces malheureuses ? Avec leur cul tout pointu ? Leur vie de femme est foutue !
Maintenant, vous comprenez d’où vient le nom coquecigrue : Coccyx et grue assemblés et simplifiés, bien que coque ferait plutôt référence à quelque chose de rond (cocci). Mais ce sont des mexicains, alors…
Et figurez-vous que je me suis interrogé, grâce à la découverte de cette pathologie, au sujet des habitants de l’Altiplano. N’avez-vous jamais remarqué dans les divers reportages vidéo que les femmes vivant là-haut présentaient des fesses proéminentes ? Pourquoi portent-elles autant de jupons très épais sous leurs robes ? Hein ? Eh bien, je crois moi que ces dames souffrent de coquecigrue et que leur indigence ne leur a pas permis de lutter contre l’inconfort autrement que par ce moyen vestimentaire, en rajoutant des jupons surnuméraires. Faute de mieux… Et ce n’est pas sot !
Depuis quelques années, les plus riches se sont fait injecter du collagène par litres dans le postérieur et ça semble produire un effet positif. Du coup, les cabinets de chirurgie esthétique fleurissent un peu partout et le prix des injections baisse régulièrement. Bientôt, tout le monde retrouvera des fesses bien rondes et confortables. Et heureusement ! Car jusqu’à présent, les malheureux ne pouvaient plus s’asseoir et passaient donc leur temps soit debout, soit allongés : Bonjour les escarres ou les varices ! Au choix en fonction du tempérament et comme vous le savez, il fait chaud tout le temps par ici… Donc, les Chicanos ne rechignent pas à la dépense et retrouvent des fesses joufflues sans ce terrible aspect grenu. Cependant, les spécialistes y sont allés un peu trop fort avec le collagène et pas mal de femmes se sont retrouvées avec un postérieur disproportionné.
On aurait pu croire que ces dames s’en seraient plaint , mais non ! Au contraire ! Une mode est née et elle a rapidement franchi les frontières et toutes les starlettes et les stars du show-biz réclament un plus gros derrière afin de l’exposer et le secouer dans tous les sens sur Facebook, Instagram ou encore dans leurs clips. Quelle misère !
Ils appellent ça le Qwerk ? Non, le Twerk ? Oui, c’est ça; le Twerk !
Mesdames, pour être à la mode aujourd’hui, il faut savoir remuer du croupion ! Là, on atteint des sommets dans la bizarrerie et la psychologie féminine…
Enfin… Qu’y pouvons-nous ? Le nombre prévaut sans doute et la mode passera quand les premières douleurs rhumatismales se feront sentir…
Tiens, il ne pleut plus ! Du coup, tout devient silencieux après le vacarme sur les tôles ondulées. Ça fait du bien quand ça s’arrête ! Et ça procure une ambiance étrange et pesante. Le Mexique est un beau pays quand même ! Même gris, c’est beau.
Je crois que tout le monde dort dans la maison car on n’entend pas un bruit. Sont quand même cossards ces mexicains ! Dès qu’ils le peuvent, ils piquent un roupillon et ce, quelle que soit l’heure.
Oh ! Ovidio arrive accroupi et il me fait signe de me baisser… Il me tend mon automatique que j’avais déposé dans l’entrée. Bigre ! Que se passe-t-il ? Un fauve rôderait-il dans la propriété ?
Bon… Je vais devoir vous laisser car ça tire dans tous les sens maintenant… Merde alors ! Des armes automatiques à ce que je peux en juger.
Les vitres ont volé en éclats. Ovidio me fait signe, on doit sortir par derrière. Il me dit qu’il y a une trappe et un tunnel dans la pièce du fond. Il pleut du plomb ! Mais qui nous canarde ainsi ? Et pourquoi ? Oui Ovidio, j’arrive !
Allez, je vous laisse et vous dis à la prochaine… Peut-être… Ouille !
Votre très dévoué professeur Bour…